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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/357

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avaient besoin, s’il faut en croire Commynes. Car, dit-il, « le mariage a fort despleu aux princes de l’Empire et à plusieurs amys dudit roy des Romains, pour n’estre de maison si noble comme il leur semblait qu’il luy appartenoit ; car du cousté des Viscontes (dont s’appellent ceulx qui règnent à Milan), — l’auteur veut dire les Visconti prédécesseurs des Sforza, — y a poy noblesse et moins du coslé Sphorce, dont estoit filz le duc Francisque de Milan, car il estoit filz d’ung cordonnier d’une petite ville appelée Contignolles (Colignola). » Aussi, peut-on croire que dans leur frénésie à se rattacher aux Visconti, les Sforza firent flotter ce serpent dévorateur au-dessus de la tête de Bianca, presque à chaque pas qu’elle fit dans la ville.

La fête fut très belle et le cortège fort bien ordonné. Bianca était accompagnée de sa belle-sœur la duchesse de Milan, Isabelle d’Aragon, et de sa jeune tante Béatrice d’Este. Elle passa sur un char triomphal, traînée par quatre chevaux blancs, entourée de chevaliers, parmi lesquels le beau Galeazzo de San Severino, le futur grand écuyer de France, et pour le moment chef suprême des armées ducales, et les ambassadeurs de tous les pays connus alors, y compris la Russie. Aux fenêtres pendaient des tapisseries, telles que, dit un poète :


<poem>Non han Barbari, Fiandra e la Turchia.


L’archevêque de Milan, Arcimboldi, chanta la messe solennelle et couronna Bianca. Son oncle, le More, était aux anges et sa mère, Bona, oubliant tous ses maux passés, pleurait de bonheur. Le peuple ne fut pas moins transporté. On dansa dans les rues, on jouta ; la nuit, il y eut tant de flammes et de lumières, qu’on eût dit qu’un incendie dévorait la ville. Bref, ce fut un mariage incomparable et unique dans les fastes de la ville, où il ne manqua que le marié. La populace fut peut-être bien un peu déçue de ne pas voir défiler un Empereur, mais on lui montra, pour la dédommager, un crocodile, arrivé récemment, ce qui n’était pas une moindre nouveauté pour elle, ni une plus mince attraction.

Au reste, si nous voulons nous représenter cette cérémonie européenne et quasi mondiale, tout entière déroulée autour de notre profil du Louvre, lisons cette lettre adressée par Béatrice d’Este, peu de jours après, à sa sœur Isabelle, la fameuse marquise de Mantoue :