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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/364

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perles ; des pendentifs ; un iesus de diamants, un joyau en forme de brustia, une rosetta et plusieurs combinaisons de pierres semblables à celles que Bianca porte, en applique sur la tempe, dans notre portrait du Louvre, c’est-à-dire : un grand rubis balais plat, un diamant gros, et facettes et une grosse perle pendante, le tout valant 4 000 ducats d’or, ou 32 000 francs, lesquels avaient une valeur acquisitive infiniment plus grande alors que de nos jours.

Mais tout cela se verrait encore dans un trousseau. Ce qui transformait cette pompe nuptiale en une exposition universelle des arts décoratifs, c’est que les selliers, les gaîniers ou astucciari, les « argentiers », ciseleurs et les forgerons y avaient envoyé aussi leurs œuvres : des « selles pour la personne de Sa Majesté » tantôt de velours cramoisi, tantôt de brocart d’argent bleu azur, ou encore de velours vert ou turquin, ou beretino, ou de satin turquin, ou de damas turquin, et, auprès des selles, des mors d’argent ; d’autres selles, au nombre de douze, de satin bleu azur et douze autres de panno tramontano « pour les dames de Sa Majesté, » enfin de gros ustensiles tels qu’un brasiero et de la vaisselle d’argent, vases, plats, aiguières « pour la crédence » ou le buffet ; des calices, ciboires et autres vases d’argent, et des ornements sacerdotaux « pour la chapelle » avec bien d’autres objets d’utilité sacrée, tels qu’un sedelino da aquasancta cum l’asperges, achevaient de lester cette édifiante corbeille de noces.

C’était bien beau et on peut le croire, même en l’absence de textes qui l’établissent, la plupart des femmes de Milan, ce jour-là, envièrent follement la destinée de leur petite princesse. Pourtant, si elles y avaient songé, la moindre des noces qui se célébraient dans le plus pauvre quartier de la ville, réservait à la mariée ce que ne trouvait pas celle-ci, à son retour de la cérémonie : un mari. Si peu qu’il compte dans un mariage politique, il compte un peu, surtout pour sa femme. Et Bianca ne savait presque rien du sien, sinon, à la vérité, d’admirables images de splendeur. L’homme qu’elle venait d’épouser portait à peu près le costume qu’on donnait alors à Dieu le Père, dans les tableaux de piété. C’était donc un fort honorable établissement. Si haut elle allait se trouver perchée dans l’échelle des êtres, que le monde ne lui paraîtrait plus que comme une petite boule, qu’elle tiendrait dans le