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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/37

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L’esprit public, parmi les nations de l’Entente, inclinait plutôt à penser que ce pouvoir était devenu trop lointain, trop distant, qu’il planait de trop haut sur les divisions terrestres, et que, sous peine d’apparaître défaillante, la voix justicière de Dieu devait se rapprocher des hommes, opportunément et importunément, parler haut, parler clair, parler rude, dans le gigantesque conflit qui mettait la force aux prises avec le droit. « Je suis près de vous, répondait en substance le Saint-Siège, et tout près de vous ; je m’efforce de faire le plus de bien possible, sans acception de personnes, sans distinction de nationalités ou de religion. »

Condamnés à mort, graciés, prisonniers grands blessés rendus à leurs familles, prisonniers malades transférés en Suisse, déportés civils arrachés à leurs geôles, témoignaient qu’au jour le jour le Saint-Siège voulait être bienfaisant, et qu’il y réussissait. Le désir même qu’il avait de multiplier ces menus services, dont le total devenait imposant, apparaissait à Benoît XV comme l’épanouissement normal de son universelle paternité. L’opinion laïque allait-elle se plaindre que la puissance spirituelle fit acte de philanthropie ? Bien des fois on avait dit, depuis deux siècles, que la théocratie avait fait son temps. Mais, par une volte-face singulièrement curieuse, une partie de l’opinion laïque, cessant de prendre ombrage des « ingérences » de l’Eglise, se montrait émue, maintenant, de ce qu’on appelait ses effacements, et semblait attendre, avec une fièvre chagrine, que les lèvres de Benoit XV ressuscitassent le langage d’un Grégoire VIII. Et d’aucuns, qui se réjouissaient peut-être, la veille encore, que Luther eût jadis émoussé les foudres de l’Eglise romaine, demandaient ce qu’attendait le Pape, pour excommunier les violateurs du droit.

Il aspirait, lui, — sa note du 1er août 1917 en donna la preuve, — à pouvoir un jour être médiateur, pour abréger l’effusion du sang ; et la feuille officielle des palais apostoliques, répondant aux impatiences qui souhaitaient qu’il fit dans le détail acte de juge, objectait que, pour concilier deux parties, le meilleur moyen n’est peut-être pas de condamner tout d’abord l’une d’entre elles…[1]. Au surplus, celle des deux parties contre laquelle la conscience humaine réclamait,

  1. Mgr Touchet, La Paix pontificale, p. 33.