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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/378

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comme des ailes ne laissaient apercevoir qu’un peu de la blancheur du caftan et des babouches jaunes légèrement poudrées de neige, on eût dit un immense oiseau apporté par la rafale. Ensemble, nous refîmes derrière les porteurs de lanternes le long voyage sans cesse retardé par les portes qu’il fallait ouvrir et fermer, à travers les couloirs où de vagues formes accroupies se chauffaient à la braise de petits fourneaux de terre, et les cours, de toute forme et de toutes dimensions, où l’on entrevoyait des centaines de bêtes entravées qui broyaient la paille hachée. De loin nous arrivaient des sons de tambourin mêlés aux flocons de la neige que le vent nous jetait au visage dans les endroits découverts, et à la chaude odeur d’écurie qui était partout répandue. Bientôt, nous entendîmes des chants et des battements de mains qui accompagnaient les tambours ; et sur les murailles du donjon, dont le sommet se perdait dans la nuit, je voyais s’agiter avec des mouvements fantastiques le sauvage reflet d’une haute flamme rouge.

Dans la plus grande des cours intérieures flambait un immense brasier, où à chaque instant des serviteurs jetaient une branche de thuya et des genévriers déracinés avec leur motte de terre, qui brûlaient en crépitant et lançaient des jets d’étincelles. Autour de ce bûcher une centaine de femmes, toutes pareillement de blanc vêtues, leur foulard brillant sur la tête, battaient des mains en cadence. A chaque battement de mains, se soulevant sur la pointe des pieds, le ventre porté légèrement en avant, elles se déplaçaient vers la gauche d’une façon presque insensible, en sorte qu’à chaque mouvement de cette lente ronde on voyait une femme surgir de l’ombre et une autre y rentrer, comme les grains d’un chapelet poussé par un doigt invisible. Le feu qui les éclairait en plein montrait cruellement de lourdes faces sans beauté, massives et jaunâtres et fort étrangement décorées. A la place des sourcils épilés, une longue ligne de peinture bleue ; sur chaque joue, trois ronds d’un rouge vif, disposés à la façon de trois boules de billard sur les vitres d’un estaminet ; et tout au bout du nez, une autre boule, rouge elle aussi, qui semblait se tenir par miracle en équilibre. Enfin, de la lèvre inférieure à l’extrémité du menton, un tatouage qui devait sans doute rappeler un palmier stylisé ou un chandelier à trois branches. Bien laides et comiques, les pauvres ! Et pourtant leur ensemble, leur lente danse autour de