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un pays menacé, ou bien aux bêtes et aux gens d’une harka de passage.

Tandis que le seigneur du lieu se rendait dans quelque chambre de son impénétrable donjon, je suivais un esclave nègre chargé d’un trousseau d’énormes clefs, qui ouvrait des portes devant moi et les refermait aussitôt, me guidait dans la nuit tombante à travers un labyrinthe de couloirs tantôt voûtés, tantôt à ciel ouvert, montait des escaliers neigeux, ouvrait encore d’autres portes, et m’introduisait enfin dans une chambre étroite et très longue, donnant sur un petit jardin où des cyprès, des choux montés, des abricotiers sans feuilles et des rosiers qui n’avaient que des épines végétaient dans la demi-mort de l’hiver.

La nuit était venue. De hauts chandeliers de cuivre fabriqués à Manchester, où brûlaient des cierges de cire verte, s’alignaient sur les tapis. Des serviteurs, pieds nus et silencieux, découvraient devant moi, les uns après les autres, une longue suite de plats coiffés de leur capuchon de paille, et qu’on était tout surpris de trouver chauds et fumants comme si, dans cet Orient glacé, tout devait être mort et gelé. De hautes glaces dorées reflétaient des esclaves immobiles et quasi monastiques dans leurs longues djellabas rayées de noir ; une dizaine de pendules muettes marquaient l’éternité ; des fleurs de papier sous des globes étalaient leur grâce sans âge ; aux deux bouts de la chambre, des lits de cuivre anglais, surmontés de couronnes, enveloppés de damas et couverts d’une profusion de coussins, attendaient des beautés qui sûrement ne viendraient pas ce soir. Un vent furieux faisait rage sous la porte, à travers les interstices du plafond de bois peint, et aussi par ces stucs ajourés qui laissent si agréablement en été filtrer la lumière sans laisser passer la chaleur. Les grands cierges vacillaient, luttaient contre la rafale et quelquefois s’éteignaient… Ah ! que je me sentais perdu dans ce coin de l’immense château-fort, perdu au fond de je ne sais quel conte d’Orient, qui se serait lui-même égaré au milieu de ces montagnes neigeuses.

Soudain la porte s’ouvrit, le vent souffla quelques bougies, et je vis entrer le Glaoui précédé par des esclaves qui portaient des lanternes. Avec sa haute mine, son profil aigu, ses yeux noirs et fiévreux, son burnous dont les pans retombant sur lui