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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/380

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claires qu’on alimentait sans trêve, et brûlant, semblait-il, moins pour éclairer cette danse que pour honorer je ne sais quelle divinité de la nuit...


Au pied de ce donjon illuminé dans les ténèbres, j’ai senti tout l’orgueil de ces puissantes maisons féodales qui semblent posées comme un sceau sur le désert environnant, et forcent l’hommage d’une poussière humaine répandue alentour, on ne sait où. Et tout ce que j’ai entendu dire de Si Madani Glaoui l’éclaire d’une lueur moins vive que le feu de ce brasier dans son château de Télouët...

Pendant de longues années obscures, à l’ombre de ces hautes murailles, toute l’ambition de cet homme fut d’étendre sa puissance aux dépens de ses voisins par la violence et l’intrigue. Tribus châtiées, têtes coupées, dures contributions de guerre levées sur les rebelles, c’est la brutale histoire habituelle à ces contrées. Tout cela échappe à la chronique : il n’en reste pas plus de trace que de la fumée d’un fusil, ou que du sang d’un homme assassiné au coin d’un bois.

L’événement le plus notable de ces années déjà lointaines fut le passage à Télouët du Sultan Moulay Hassan, au retour d’une expédition dans le Tafilalet. Il faut se représenter ce que sont ces randonnées à travers le désert et la montagne, au milieu d’âpres régions dénuées de toutes ressources, pour comprendre quelle satisfaction dut éprouver le Sultan, déjà vieux et usé par une dure vie militaire, lorsqu’arrivé à quelques lieues de ce château des Glaoua, il vit venir à lui Si Madani et son jeune frère Thami, amenant avec eux des provisions de toutes sortes, et un grand nombre de chevaux et de mulets pour remplacer les bêtes épuisées de la méhalla [1] chérifienne. Dans la kasbah, la réception fut somptueuse : danses et chants, plantureuses diffas, fêtes nocturnes, toutes pareilles sans doute à celle que j’ai vue l’autre jour à la lueur du brasier. Charmé de cet accueil, le Sultan offrit à son hôte quelques pièces de canon, des fusils et des munitions. Ce qui fit grand effet dans la montagne, où l’imagination berbère, qui grossit toutes choses, n’a cessé depuis ce temps-là de considérer Télouët comme un formidable arsenal. Mais surtout,

  1. Armée d’un sultan.