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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/381

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la visite du Chérif donna au Glaoui le prestige d’un seigneur magnifique et bien en cour, dont la vie n’était pas destinée à s’écouler obscurément entre les murs d’une kasbah montagnarde.

Tant que vécut le grand Moulay Hassan, et, après lui, le vizir Ba Ahmed, rien ne fut changé dans ce Maroc, qui à quelques pas de l’Europe semblait plus lointain que la Chine. Mais avec le règne d’Aziz commencèrent les folies et les prodigalités qui devaient conduire bientôt le vieux Moghreb à la ruine.

Si le jeune Abd et Aziz avait été violent et sanguinaire, à l’exemple de beaucoup de ses ancêtres qui massacrèrent des milliers de leurs sujets avec des raffinements de cruauté inouïs, il eût moins scandalisé qu’en se livrant à des plaisirs innocents mais qui semblaient incompatibles avec la dignité d’un Chérif. Derrière les hauts murs crénelés de ses palais de Marrakech et de Fez, il tirait des feux d’artifice, dont on voyait du dehors s’épanouir les fusées ; installait dans les mèchouars [1] un chemin de fer Decauville ; courait à bicyclette avec les femmes de son harem ; faisait de la photographie ; s’amusait des phonographes, des pianos mécaniques, de mille autres fariboles, détraquées avant de servir, que lui vendaient à prix d’or dey mercantis européens. Exaspérées par les récits fabuleux qu’on leur faisait des fantaisies du Sultan, quelques tribus se révoltèrent à la voix du Rogui Bou Hamara, un de ces Maîtres de l’Heure, comme il en surgit toujours aux époques troublées du Maroc, — un Maitre de l’Heure, c’est-à-dire le mirage de religion et de guerre qui a toujours flotté à l’horizon du bled, et qui prend on ne sait quelle consistance de rêve dans l’idée d’un homme inspiré qui rétablira l’Islam dans sa pureté primitive et fera régner partout la justice.

Le Glaoui accourut à Fez, avec de nombreux contingents, au secours d’Abd et Aziz. L’expédition fut malheureuse. Blessé trois fois, assiégé dans Taza, coupé de la route de Fez, Si Madani se vit contraint pour échapper à un désastre, de se réfugier en Algérie, où nos officiers l’accueillirent et lui procurèrent les moyens de regagner le Maroc par Oran, la mer et Tanger. En revenant à Fez, il espérait que ses services, ses blessures, son habileté dans une situation difficile, allaient

  1. Cours du palais.