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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/387

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bride abattue et revinrent de même, annonçant à la stupeur de tous que la cavalerie était « cassée. » Presque aussitôt, les cavaliers revenaient en débandade, et des balles commençaient de siffler autour du Sultan. Artilleurs et fantassins s’éloignaient en toute hâte ; les vizirs fuyaient sur leurs mules ; il ne resta auprès d’Aziz que ses esclaves noirs et les instructeurs français qui démontaient rapidement les pièces pour les charger sur les mulets. Avec le plus grand sang-froid Aziz dit : « Nous sommes trahis ! » Et il donna l’ordre aussitôt de se replier sur le camp. Serrés autour de lui, ses fidèles esclaves le protégeaient de leurs corps, et tous les deux cents mètres environ, ils l’enlevaient de son cheval et, toujours au galop, le jetaient sur un cheval frais. Dans le camp, les troupes débandées avaient commencé le pillage, éventrant à coups de crosse les caisses de cartouches, déchirant avec leurs poignards les tentes des vizirs pour raller tout ce qui pouvait s’y trouver. Aziz rejoignit son afrag [1], fit monter ses femmes sur des mules, et toujours accompagné des instructeurs et de ses nègres, son caftan troué de dix-sept balles, il s’éloigna dans la campagne. La solitude était complète : tous les soldats étaient restés à piller. La nuit venue, le sultan fugitif s’arrêta sous un figuier, fit dresser une sorte de muraille avec des selles et des bâts, afin d’abriter ses femmes, puis revenant s’asseoir sous son arbre, il dit avec sérénité : « Ce matin, j’étais sultan et je nommais les caïds. Ce soir, je suis un homme pareil à tous les autres : c’est Allah qui l’a voulu ! »


Pendant deux mois, Si Madani, installé à Marrakech dans le palais de la Bahia, vécut d’une vie magnifique, agrandissant ses domaines, établissant partout sa famille ; et peut-être à ce moment, au sommet de sa fortune, lui vint-il la pensée de ne pas retourner à Fez et de se créer dans le Sud un pouvoir indépendant. Hafid, naturellement ombrageux, et d’autant plus inquiet qu’il connaissait mieux que personne l’audace de son vizir, le pressait, mais en vain, de revenir auprès de lui. A la fin, le Glaoui s’y décida ; et traversant tout le Maroc avec l’escorte d’un véritable sultan, il reparut à Fez, et alla se loger dans la riche demeure des Tazi, qu’il avait confisquée, et où

  1. Tente impériale.