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jadis, toute une longue soirée, on l’avait fait attendre au milieu des esclaves, des courants d’air et des mulets.

A partir de ce moment, son histoire est l’éternelle aventure de tous les grands vizirs, dans toutes les histoires arabes. Pendant des mois ou des années, ils nomment les caïds, abaissent les gens ou les élèvent au gré de leur fantaisie. Toutes les ressources du royaume viennent affluer dans leurs mains : ils les distribuent à leurs fidèles, ils enrichissent leur famille, ils gardent beaucoup pour eux-mêmes. Leur faste, leur train de maison fait partie de leur puissance : il faut qu’ils soient magnifiques. Le Sultan épouse leur fille ; ils épousent une fille du Sultan... Et cela dure jusqu’au jour où le maître devient jaloux du vizir ; il trouve son luxe offensant, son autorité trop grande ; il l’accuse de ne plus lui fournir assez d’argent ou d’en retenir trop pour lui-même ; il s’écrie comme Hafid : « Puisse Dieu casser l’échelle qui m’a aidé à monter ! » Alors, c’en est fait du vizir ; ses biens lui sont ravis, ses commandements enlevés, sa famille dépouillée ; il est précipité dans l’ombre, heureux de conserver la vie ou d’échapper à la prison... Ce fut l’histoire du Madani.

Rejeté par son maître, déchu de sa grandeur, abandonné comme on l’est en Orient quand on n’a pas réussi, il vivait fort retiré dans son palais de Marrakech, quand un nouveau maître de l’heure, fils de sorcier, sorcier lui-même, le mahdi et Hiba, apparut sur les confins du désert et du grand Atlas, marcha sur Marrakech et s’y proclama Sultan. Mais le Madani ne croyait plus au succès d’un maître de l’heure ! Durant son séjour à Fez, il s’était bien rendu compte que des rêves comme celui qu’il avait pu former lui-même étaient tout à fait insensés. Le Maroc n’était plus le maître de ses destinées ; et puisqu’il lui fallait subir la protection des étrangers, c’était encore avec la France qu’on pouvait le mieux s’entendre. Il déclina l’offre d’Hiba de devenir son grand vizir ; il intervint pour qu’on ne fit aucun mal aux Français que le Mahdi, le jour même de son arrivée, avait emprisonnés comme otages ; et ce fut lui et son frère Hadj Thami qui, pendant les trois semaines que dura ce règne éphémère, envoya deux fois par jour de quoi nourrir les prisonniers.

Mais voici le grand trait de cette vie, qui rattache à l’histoire de France ce lointain soigneur berbère. Le 2 août 1914,