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le général de Lamothe, commandant la région de Marrakech, réunissait tous les seigneurs de l’Atlas, pour leur apprendre que la guerre venait d’être déclarée entre la France et l’Allemagne, et connaître leurs intentions. Minute tragique entre toutes ! Il y avait seulement quelques mois que nous étions à Marrakech. Dans la ville, une faible garnison. Autour de nous, un pays inconnu, évidemment hostile, tout dévoué à ces féodaux que nous connaissions de la veille et dont la fidélité était pour le moins incertaine. S’ils se déclaraient contre nous, c’était la moitié du Maroc qu’il fallait abandonner. Tous les émissaires de l’Allemagne les poussaient à la révolte. Nous étions entre leurs mains. A quoi allaient-ils se résoudre ?

Si Madani prit le premier la parole, comme il avait fait autrefois, lorsqu’il s’était agi de renverser Abd et Aziz. Il y avait là beaucoup des personnages qu’il avait harangués jadis, tous, cette fois encore, pleins d’inquiétude et hésitants. Son discours ne fut pas long. Cet homme qui se faisait traduire les journaux importants d’Europe, avait une idée très claire des forces qui allaient s’affronter, et il ne lui échappait pas que les risques étaient grands pour nous. Mais la question, — dit-il, — n’était pas de préjuger aujourd’hui quel serait le vainqueur ou le vaincu. En signant le Protectorat, le Maroc avait attaché sa fortune à la nôtre, et l’heure était venue maintenant de montrer sa loyauté... Ces paroles exprimaient-elles les sentiments véritables de tous ceux qui l’écoutaient ? Combien parmi ces féodaux prêtaient l’oreille à d’autres voix ?... Le ton du Glaoui était si ferme qu’après lui aucun des caïds n’osa demander la parole. Tous, ils acquiescèrent de la tête. Le Glaoui venait de fixer pour toute la durée de la guerre l’attitude des grands seigneurs de l’Atlas.

Le même jour, il convoquait tous les gens de sa parenté qui se trouvaient a Marrakech. Il leur dit sa résolution de demeurer fidèle aux Français. L’un d’eux fit alors remarquer qu’en récompense du service qu’il se disposait à nous rendre, peut-être eût-il pu demander des avantages pour les siens. Alors, de sa voix cotonneuse, toujours un peu embarrassée. Si Madani répondit simplement que, s’il y avait dans sa famille des gens qui n’étaient pas contents, il y avait aussi à Télouët des prisons dont on ne sortait jamais.