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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/392

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de lauriers-roses pareilles à des tapis vert sombre semés de fleurs éclatantes.

La harka n’avait pas encore quitté le territoire soumis à l’autorité du Glaoui, et l’on ne tarda guère à voir arriver la « mouna. » Dès trois heures de l’après-midi, dans cet endroit perdu, d’où l’on n’apercevait, si loin que la vue s’étendit, aucune trace d’habitation, commencèrent d’affluer en longues théories des gens de tous les âges, apportant sur leurs têtes les plats couverts des capuchons et à la main des sortes de cabas remplis eux aussi de nourriture. Et il en arrivait cent par ici, deux cents par là, et des centaines et des centaines. D’où surgissaient-ils tous ces gens, dans ce pays qui semblait vide ? Où avait-on confectionné ces mets qu’ils portaient en processions si nombreuses ?,.. Cela faisait songer à ces cuisines fabuleuses que fait sortir de terre le prince Riquet à la houppe. Il y en avait qui s’étaient mis à trois pour porter avec des cordes, passées sur leurs épaules, un énorme plateau de couss-couss qui disparaissait sous les œufs durs. A mesure qu’ils arrivaient, ils se rangeaient à distance respectueuse devant la tente du Madani, posaient à terre leur fardeau, enlevaient les capuchons, entr’ouvraient les cabas, attendant que le khalifat [1] du Fqih vînt s’enquérir de la fraction de tribu à laquelle ils appartenaient, estimer d’un coup d’œil l’abondance et la qualité des plats, la générosité du cadeau, et leur indiquer enfin vers quelle partie du camp ils devaient porter leur mouna. Alors, les vastes plateaux reprenaient leur place sur les têtes, et la procession des cabas et des capuchons pointus se dirigeait du côté qui lui avait été assigné. Puis, le dernier os rongé, ils remportaient leur vaisselle et s’en retournaient chez eux, rencontrant en chemin d’autres gens qui arrivaient avec les mêmes couss-couss, les mêmes moutons rôtis ou bouillis, les mêmes poulets, trois par trois, les mêmes semoules, le même beurre rance, les mêmes galettes de pain encore chaud, — déroulement extraordinaire, fantastique, de pauvres gens apportant à manger à d’autres pauvres gens, ou plutôt venant offrir au Glaoui, leur seigneur, le témoignage de leur fidélité.

Dans la qoubba du Fqih, des notables entraient et sortaient, apportant des renseignements sur les dispositions des tribus

  1. Lieutenant et majordome.