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où nous allions pénétrer. Sous la tente-mosquée, les chants et les prières des tolbas [1] faisaient un accompagnement continu à cette conversation politico-militaire. Des mendiants venus on ne sait d’où, hommes, femmes, enfants, mêlaient le bruit de leurs implorations aux litanies de la mosquée. Un de ces mendiants, tout à fait nu, s’était même installé à la porte du Madani, et ses cris insupportables dominaient tous les autres bruits, jusqu’au moment où le Fqih lui fit jeter par un nègre un douro pour l’éloigner.

Non loin de la tente de prières, des musiciens et des petits danseurs chleuhs, plus pareils à des femmes qu’à des hommes avec leurs yeux peints, leurs longues robes et leurs ceintures brodées, dansaient au bruit des tambourins, des cithares et des mandores mêlés au bruit de la prière. C’étaient toujours ces danses d’une retenue et d’une modestie équivoque, ces marches lentes accompagnées de brefs tournoiements et de torsions rapides du corps autour des hanches immobiles, ces évolutions compliquées qui cessaient brusquement lorsque le chef de la bande, d’une voix suraiguë, faisait l’invocation à Allah en étendant ses mains ouvertes. Eux aussi, les petits danseurs aux yeux peints tendaient leurs mains trop fines, chargées de bagues, de bracelets et de petites castagnettes de cuivre. Et tout le cercle des assistants, les mains pareillement ouvertes, répétait : Amen ! Amen !

Le soleil avait déjà disparu. La lune éclairait maintenant la ligne déchiquetée des montagnes. Dans les tentes, sur les tapis ou sur les jonchées de lauriers roses, les gens priaient, prenaient le thé, achevaient leur repas, ou s’amusaient à consulter des épaules de mouton dont on avait raclé la viande, pour juger, d’après une certaine disposition des ombres, si la harka remporterait la victoire... Et c’est ainsi que dans cette nuit d’août on se préparait à combattre dans le camp du Madani.


JÉRÔME ET JEAN THARAUD.

  1. Étudiants en théologie musulmane.