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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/42

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comment ; mais il est certain qu’à mesure que les affaires reprendront, l’inquiétude et le malaise augmenteront au lieu de diminuer, et que le mot, présage des solutions extrêmes, sortira de toutes les poitrines : « il faut en finir, » et l’on en finira. L’état de misère et de souffrance matérielle rend les peuples plus patients que la prospérité présente ou entrevue. Quant à moi, je m’ancre dans les opinions que je t’exprimais. Cependant je suis d’un esprit libre, et, s’il se trouve enfin quelqu’un d’assez puissant ou d’assez heureux (c’est la même chose en politique) pour faire tourner l’expérience au profit de la liberté, je me réjouirai et je ne résisterai pas à la démonstration.


A Madame de S***.


8 mars 1872.

Vous êtes devenue un véritable Montesquieu constitutionnel et vous avoir conquise est pour la république sans républicains une belle victoire. Je ne suis pas du tout dépité de vous voir ainsi. Une de mes règles de conduite les plus constantes est de ne pas troubler la foi et l’espérance chez les autres. Je ne parle pas seulement de la foi et de l’espérance religieuses qui me semblent sacrées quelles qu’elles soient, mais même de la foi et de l’espérance politiques. Je le ferai d’autant moins en cette occasion que mon plus vif désir est que vous ayez raison et moi tort. Le pays relevé, régénéré, remis à son rang par la liberté, quel spectacle pourrait me ravir davantage et quelle blessure personnelle pourrait m’empêcher de bénir, d’admirer, de défendre ceux qui nous le donneraient !

Au milieu de la confusion actuelle, je n’ai qu’à me tenir à l’écart, étudiant, priant, espérant. Le fond de mes idées est encore tel que je l’exprimais dans ma Conclusion du 19 Janvier. Relisez-la. Je veux donc éviter tout ce qui ressemblerait à une opposition de dépit, de rancune ou de parti. S’il m’était possible d’approuver, je le ferais avec joie. Dans ce siècle, à mon avis, il n’y a en politique qu’une gloire à recueillir. Être un homme de progrès, un démocrate, aimer et servir le peuple, malgré ses injustices et ses crimes, et ne jamais devenir un révolutionnaire, même pour une cause qu’on croit bonne et juste. Pendant un temps, j’ai pensé qu’un homme avait ainsi agi à cause des belles maximes de ses écrits, M. Guizot. Une