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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/54

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suis jamais livré à elles, je m’y suis simplement prèté, et je le ferai de nouveau, dès qu’un devoir à remplir me sera offert. Je ne les estime pas plus qu’elles ne valent, mais je ne les déprécie pas non plus au delà de ce qui est sensé. Maudire la vie me paraît aussi étroit que l’exalter ; admirer l’humanité est aussi enfantin que la vilipender ; la vie a des douceurs, ne serait-ce que celle de la douce lumière, ainsi que disait Iphigénie avant de mourir ; elle a aussi des duretés. Le bonheur existe, si on le conçoit ce qu’il doit être : l’acceptation sereine de la destinée quelle qu’elle soit. L’Imitation à laquelle vous me renvoyez, ce qui n’est pas une mauvaise pénitence, ne fait souvent que reproduire l’inspiration d’un de nos livres bibliques, et dans sa plus grande partie, elle n’est que le développement doux, miséricordieux, attendri de la terrible parole grondante de Job : Militia est vita hominis super terram. La vie de l’homme sur la terre est un combat. Pourquoi ? je l’ignore et je ne le recherche pas. Ma raison m’affirme une cause ; elle déduit de cette cause la conception d’un idéal et d’une justice, cela me suffit. La mort m’apparaît partout, sous toutes ses formes, non seulement en moi, mais autour de moi ; à chaque minute tout meurt incessamment ; et moi-même, je ne vis que par la mort des autres êtres ; en respirant, en marchant, en me remuant, en vivant, je tue, jusqu’à ce que les vers que je porte et que je nourris de ma meilleure substance soient devenus assez robustes pour me dévorer. Ce carnage incessant dont j’ai pleine conscience, quoiqu’il soit silencieux, n’est qu’un des côtés de l’œuvre de destruction.

Dans l’histoire aussi, tout n’est que mort : rien n’y dure et les nations comme les individus, ne montent haut, que pour donner au genre humain, avide d’émotions, le spectacle d’une chute plus retentissante. Enfin notre globe lui-même périt graduellement, c’est-à-dire se refroidit ; il finira par n’être plus qu’une surface aride et désolée, semblable à la lune autrefois brillante. La mort est donc la vraie souveraine du monde ; mais, malgré l’horreur des séparations et leurs inconsolables désespoirs, elle est une souveraine clémente : elle ne détruit pas, elle transforme ; elle élève d’un étal épuisé à un état nouveau. En réalité, elle est encore la vie, la vie renouvelée, rajeunie. La mort au sens vulgaire n’existe pas : il n’y a qu’un passage obscur d’une existence à une autre. Et comme cette