Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


A la Princesse.


10 février.

Qui m’aurait dit, lorsque l’Empereur m’embrassait, avant de partir pour Metz, que je ne le reverrais plus et qu’il mourrait dans l’exil, moi étant dans l’exil ? C’est le cas de répéter : Dieu seul est grand. Et quel martyre avant de mourir ! Dans aucun cœur humain il n’y a eu la désolation tragique qui a dévasté ce grand cœur dans ces heures de sang, de désordre, d’abandon, d’angoisses, d’attente infernale qui se sont succédé des premiers jours d’août au 4 septembre. Pauvre et cher Empereur ! A Paris, malgré moi, on ne l’avait pas voulu comme souverain, à l’armée on le repoussait comme général, et il suivait avec les bagages, s’offrant à la mort qui ne le voulait pas ! J’avais l’espérance passionnée, la certitude que sa vie ne se terminerait pas sur ces souvenirs, et voilà que la mort qui ne l’avait pas voulu à Sedan, sur la route de l’exil, le saisit à Chislehurst, sur la route de la patrie !

Si vous l’aviez connu, approché, vous auriez compris cette douleur poignante qui a éclaté de toutes parts. Son premier abord était froid, mais cette froideur était comme celle de la neige étendue sur la terre, elle empêchait la chaleur de se dissiper : aussi le sentait-on dans ses moindres paroles et surtout dans ce regard que les ennemis ont pu trouver terne, qui aux amis était doux et caressant. Je ne crois pas que personne ait eu ou puisse avoir à un tel degré, malgré sa timidité et une véritable modestie, l’air royal, cette majesté paisible et cependant vénérable, cheminant entre la crainte et l’amour. Nul ne m’a fait mieux comprendre quelle véritable force se trouve dans la douceur et quelle autorité dans la bonté. Il aimait qu’on lui dit la vérité et ne la repoussait ni par la morgue ni par les partis pris, car aucun esprit ne fut plus libre de préjugés, et cependant à nul elle ne fut plus difficile à dire lorsqu’elle était pénible, tant il inspirait le désir de lui être agréable, et tant on craignait de contrister un être aussi excellent. Pendant le conseil, il jouait avec une bague qu’il laissait parfois tomber, il écoutait patiemment, puis, par quelques mots, il opinait pour la raison juste, mais sans mettre jamais dans la balance le poids de son autorité. Dans sa tentative libérale, qui eût