Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réussi sans cette malheureuse guerre, et dont je me glorifierai toujours, il a été d’une loyauté irréprochable. Il m’a secondé paternellement, m’instruisant lui-même des intrigues qu’on tramait contre moi auprès de lui. Nos relations n’étaient pas officielles, elles étaient intimes, comme il me l’a écrit lui-même de Châlons, et, en le perdant, j’ai perdu un ami en même temps qu’un souverain.


A Madame de S***.


12 février 1873.

Vous vous trompez sur la guerre ; elle était impossible à éviter et ce sont les Prussiens qui en réalité l’ont déclarée ; nous n’avons tancé nous-mêmes une déclaration que pour profiter sans déloyauté des huit à dix jours d’avance que Lebœuf nous promettait. Vous n’êtes pas juste non plus lorsque vous parlez de l’absence de courage de notre armée ; à Wœrth, à Borny, à Gravelotte, elle a été sublime. Si d’abord on n’avait pas renverse notre ministère et surtout empêché le retour de l’Empereur à Paris, puis consommé une révolution devant l’ennemi, rien n’était perdu. Aussi, quoique je sois très disposé à avouer mes fautes, surtout à mon confesseur, je ne regrette aucun de mes actes de 1870 : la paix eût été plus ignominieuse que nos défaites et eût aussi vite précipité l’Empire... Je n’ai d’autre désespoir que celui de la honte que se donne mon pays en désavouant ses sentiments et ses légitimes griefs, et je crois le servir en conservant intacte, pour mon compte et pour le sien, la dignité qu’il u momentanément perdue. Lors, qu’il sera revenu à la raison, il m’en saura gré. Mon cher confesseur n’obtiendra rien de moi sur ce chapitre, et je m’obstine dans l’impénitence la plus finale. Je n’admets pas non plus que nos désastres soient irréparables. Si nous sommes bien gouvernés, avant quinze ans, nous serons plus forts et plus glorieux que nous ne l’étions.

Je suis très touché de ce que vous me dites de l’Empereur, sa légende fera son chemin plus vite que vous ne croyez. Sans doute il a commis des fautes. Mais qui n’en commet pas et qui n’en commettra dans vingt ans de règne ? La plus grave de toutes, l’inqualifiable direction donnée aux opérations militaires ne s’explique que trop maintenant par son état de santé. Quant à