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l’hégémonie de la Maison d’Autriche, et passer à travers les rêves touffus d’Albert Dürer, comme le symbole du monde ancien cheminant vers l’avenir : — tel était Maximilien. Tel, du moins, il nous apparaît aujourd’hui. Penché sur la mosaïque multicolore et multiforme des États, des villes libres, des principautés, des évêchés, des duchés, des républiques, comme sur un puzzle prodigieux et cherchant à composer de ces éléments instables et hétéroclites, artistement, minutieusement, et malgré mille gêneurs, le tableau du Saint-Empire, selon un idéal qu’il portait en lui, — c’était l’homme d’un labeur immense et sans fin.

Mais était-ce, là, le mari rêvé par la jeune femme ? Ou même un mari tout simplement ? Son absence d’Innsbruck au moment où elle y arrivait, après tant de fatigues et de dangers, ne semblait pas d’un excellent augure. Au moins, s’il l’appelait auprès de lui ? Mais non, pas le moins du monde ! Pas plus qu’il ne songeait à venir à Innsbruck où elle était, il ne parlait de la faire venir à Vienne, où il se trouvait... A sa place, il mandait son familier et son mentor, Erasmo Brasca. A quoi tout cela pouvait-il tendre ? C’est la question que se posait le diplomate milanais en recevant cet ordre. Toutefois, il partit tout de suite. Il portait à l’Empereur une lettre autographe de sa souveraine, toute respectueuse et timide, et dont elle était satisfaite, semble-t-il, car elle en envoya copie à son oncle Ludovic le More, en se plaignant de l’absence de son époux. Cette lettre est extraordinaire. Qu’est-ce que, dans ses messages précédents, Maximilien avait bien pu lui dire, ou lui faire dire, pour que, délaissée autant qu’on peut l’être, elle lui écrivit ceci :


Sérénissime Roi et Seigneur mien,

Je me trouve en de telles obligations envers votre Majesté que je demeure stupéfaite de l’amour qu’elle me manifeste. Il ne me serait pas possible d’exprimer la joie qu’en ressent mon âme. Et parce que je ne suis pas capable d’en témoigner assez par écrit, je charge de me suppléer, de vive voix, messer Erasmo Brasca qui peut être cru de votre Majesté, à laquelle je me recommande.

Ex Hyspruch XXVI Deccmbris 1493. Majestatis Vestre Serva Bianca Maria manu propria.