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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/583

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pompe, au son des trompettes, comme un prince et entouré de figurines d’hommes et de femmes faites d’amandes grillées. C’était à son diner de noces du 29 décembre 1493. De la place d’honneur qu’elle occupait, sous un baldaquin de drap d’or cramoisi, recourbé en capuchon, Bianca vit défiler successivement sur les tables plus de victuailles que Gamache n’en offrit jamais à ses convives, ou que le docteur natif de Tirtéaféura, n’en défendit à Sancho Panca : des chapons, des poissons nageant dans une sauce de raifort, un cochon de lait bonifié par des raves en compote, encore des chapons, un cerf de gelée « noire, » deux lions et un porc-épic d’amandes grillées, d’autres chapons, avec des hachis de viande, un pâté, des lasagnes, des poulets, encore des chapons, des massepains et des sucreries, le tout arrosé de vins blancs et rouges est annoncé à son de trompettes, et terminé par un solo de soprano, chanté par une bossue et par des jeux.

Bianca n’était pas seule à jouir de ces blandices. Elle avait trouvé au palais un oncle de son mari, l’archiduc Sigismond, comte de Tyrol, avec sa jeune femme Catherine, qui était jeune et gaie, et elle se divertissait de son mieux avec ces deux princiers personnages, comme on pouvait se divertir à Innsbruck, au cœur de l’hiver, il y a quatre cents ans. On habillait et on déguisait à l’allemande les dames milanaises venues à la suite de la Reine : on faisait peindre, à la manière italienne, les portraits des seigneurs de la cour impériale, par Ambrogio de Prédis, le peintre présumé de notre portrait du Louvre, qu’on avait amené en Allemagne. L’échange et le mélange des élégances des deux cours enfantaient, peu à peu, cet aspect composite et fâcheusement opulent qu’on observe dans la plupart des portraits de princesses de cette époque et notamment dans celui de Bianca-Maria, peint quelques années plus tard, par Stigler. Et c’était encore là, quelques heures de gagnées...

Mais l’Empereur ne venait toujours pas... Les hyperboliques louanges dont les courtisans le gratifiaient auprès de sa femme ne la persuadaient peut-être pas entièrement de ses perfections quasi surnaturelles : toujours fallait-il lui reconnaître cette ressemblance avec la divinité qu’il restait invisible... Était-ce, là, seulement l’effet des circonstances ? On craignait que ce fût aussi celui d’une conspiration. Les magnats et autres seigneurs, qu’on savait furieux de la mésalliance de Maximilien, n’avaient pu