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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/584

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empêcher le mariage. N’allaient-ils pas réussir à en empêcher, du moins, l’accomplissement et la naissance d’un héritier ?

Enfin, la promesse impériale s’accomplit. Notre profil du Louvre se trouva, pour la première fois, en présence du profil de Maximilien, tel que nous le voyons avec sa figure chevaline, son nez busqué, ses longs cheveux tombant en mille boucles et son lourd collier de la Toison d’or, dans le portrait fait par le même Ambrogio de Prédis et qui est à Vienne. Le 15 mars, Erasmo Brasca écrit à Ludovic le More, que, le 13, l’époux tant attendu est arrivé à Innsbruck et que, depuis ce jour, il a rempli tous ses devoirs. « Le Sérénissime Roi paraît ne s’occuper d’autre chose que de cajoler la Reine et continuellement il en fait la plus grande démonstration. » Joie au Castello de Milan, confusion chez les envieux, les jaloux et les adversaires !...

Quant au bonheur du ménage royal, toutes les hypothèses sont permises et même les moins optimistes peuvent être envisagées. Elles peuvent l’être, parce que la vie de Bianca, pour plus proche que fût maintenant son époux, parait être demeurée aussi loin de la sienne. On avait marié une dot avec un blason. L’une était versée, l’autre flamboyait de l’éclat le plus flatteur de l’Europe, avec celui du Roi de France. Le but du mariage était donc atteint et, après cela, les félicités sentimentales pouvaient sembler choses aussi futiles et surérogatoires que, dans la toilette de Bianca, les plumes de héron blanc qu’elle envoyait chercher, à grands frais, dans tous les pays du monde.

Pendant qu’elle se parait des plumes, son mari courait après la bête : les chasses de Maximilien sont célèbres. On en suit le détail dans les tapisseries de Van Orley. Ses quinze cents chiens couvraient d’un tapis mouvant le sol autour de lui, ses faucons obscurcissaient le ciel. Il y oubliait tellement sa femme, qu’il restait jusqu’à vingt jours absent, par monts et par vaux, à courir le sanglier, ou à guetter l’ours ou le chamois. Pécopin finissait bien par revenir auprès de Bauldour, et sans doute ne la trouvait-il pas notablement vieillie. Mais si vingt jours ne marquent pas sur les traits jusqu’à les rendre méconnaissables, peut-être suffisent-ils quelquefois à effacer dans l’âme une velléité de tendresse et de dévouement. Surtout dans une âme aussi molle que celle de Bianca, et aussi peu profonde. Au reste, c’était peut-être cette légèreté qui éloignait le Roi. On ne sait jamais bien, dans ces réactions sentimentales, ce qui est cause