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Ses « bonnes villes » lui fournissaient bien des hommes, mais pour fort peu de temps à la fois, en sorte que, grâce aux lenteurs du recrutement, la moitié des effectifs avait déjà quitté le camp, lorsque l’autre moitié venait rejoindre, — ce qui n’excitait pas peu la gaieté de Machiavel. Ainsi, le roi des Romains passait son temps à des concentrations imaginaires d’armées à demi fantômes, pour des expéditions mort-nées.

Pour en lever d’autres, il aurait fallu de l’argent et c’est ce dont il manquait le plus au monde. Les diètes lésinaient tellement avec lui, lorsqu’il réclamait des subsides, qu’il en était réduit parfois à engager non seulement les bijoux, les colliers de perles, mais jusqu’au linge de sa femme. D’ailleurs, il n’était jamais là : toutes les grâces persuasives qu’elle aurait pu déployer en faveur de son oncle demeuraient inopérantes avec un mari si fugace et si insaisissable. Elle ne pouvait guère s’adresser à lui que, comme à Dieu le Père, par des prières lointaines, humbles et monologuées.

Enfin, Maximilien était, de par la nature même de son esprit, la plus lente et la plus décevante des Providences. Ce n’est pas qu’il fut à court d’idées et de stratagèmes ! Comme le remarquait l’envoyé de Venise, il en avait d’admirables et pour faire face à toutes les situations : il n’en avait que trop ! A peine l’une d’elles recevait-elle son exécution, qu’il en trouvait une meilleure, laquelle remplaçait la première, et ainsi de suite, et toujours, si bien que le temps de l’action avait passé avant qu’il eût rien fait... Entre ces deux songe-creux, c’est une Catherine Sforza qu’il eût fallu, pour mettre de la décision et de l’ordre. Sa sœur ou demi-sœur, Bianca, en était tout à fait incapable et la ruine survint sans qu’on sût exactement pourquoi, quand, ni comment.

Les lansquenets de Maximilien enfin partis au secours de Milan étaient arrivés trop tard. Le More, battu par les Français, trahi par le gouverneur du Castello, fuyait avec une poignée de partisans dévoués. Il vint échouer à Innsbruck auprès de sa nièce. Rien de plus lamentable que l’émigration des Princes, les apparences d’une Cour, sans la force d’un État, l’hospitalité imprévue et forcée de l’Etranger, la requête d’un appui qui veut toujours dire invasion et dévastation de sa propre patrie, l’intrigue et la mauvaise humeur des conseillers qu’on n’a pas assez écoutés, des partisans devenus des juges, des courtisans