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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/590

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rappelleront les traits de leur mère disparue et seront la consolation de votre douleur présente, aussi bien que le soutien de vos vieux jours. Et lorsque le moment viendra pour vous de la rejoindre, vous pourrez leur léguer un trône paisible et l’éternel souvenir de votre nom… »

Rien n’était plus spécieux que cette consolation dernière, ni plus aventuré que cette prophétie. Car le More, sauvé une première fois des entreprises du Duc d’Orléans, lors de l’expédition de Charles VIII contre Naples, allait être menacé de nouveau par le même personnage, devenu Roi de France. La seconde expédition française en Italie, avec Milan, cette fois pour objectif et Louis XII pour auteur, le jeta bientôt dans des transes mortelles. Il se tourna vers Maximilien et vers sa nièce et appela au secours… « Je serais reconnaissant que vous fassiez en sorte que la Reine sérénissime me recommande à sa Majesté, car il est temps, maintenant, de témoigner l’amour quelle me porte ! » écrivait-il à son envoyé, à Innsbruck, le 7 août 1499.

Malgré toute sa noncuranza, Bianca ne pouvait s’empêcher d’éprouver le contraste heureux de sa destinée. La guerre et la révolution grondaient aux plaines lombardes, tandis que le Tyrol demeurait solide comme un roc : — le roc abrupt et giboyeux, qu’on voit remplir la fenêtre, au fond du portrait de Maximilien, par Stigler. Le More et Maximilien se ressemblaient en un point essentiel et c’était là, on peut le croire, la raison de leur sympathie mutuelle. Tous deux étaient des rêveurs et bâtisseurs de monuments chimériques, mais le premier bâtissait sa Babel sur le sable mouvant de l’opinion et des alliances italiennes, le second sur la terre ferme, alors, de la fidélité germanique. L’un ne s’appuyait que sur l’intrigue et l’argent, l’autre comptait pour se protéger sur le solide rempart de ses lansquenets. « À moi, les lansquenets !… « criait éperdument Ludovic le More. Sa nièce faisait de son mieux pour lui en envoyer, en échange des toilettes, des parfums et des plumes qu’elle recevait de Milan. Mais c’était plus difficile.

D’abord, si Maximilien possédait assez de troupes et assez bien en main pour n’avoir lui-même rien à craindre de ses ennemis, il avait tant d’états à défendre, que ses bataillons s’éparpillaient et s’évanouissaient indéfiniment à tous les horizons de son empire : il ne lui en restait jamais pour son allié.