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s’évertuer, se guinder à des efforts qui sont des tours de force dans le vide de la chimère ? Non. Vous désirez d’aimer ? Alors vous aimez. Allez en paix. Soyez satisfaits. C’est la doctrine de Pascal : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé[1]… »

Relevez encore, dans les mêmes lettres, dans le même sens, d’autres traits. De ce Cantique des cantiques palpitant et bouillant, ne voilà-t-il pas que c’est une sagesse réaliste que Bossuet trouve moyen de faire sortir. Elle voudrait, l’Epouse, l’ « âme aimante, » « que tout parlât de son amour ; que tout lui fût langue pour en parler, ou plutôt que tout fût cœur… » Que la sœur Clerginet comprenne bien ce langage : il est la poétique hyperbole de la passion. Qu’entendre par là ? Tout bonnement la solidarité chrétienne, comme nous dirions aujourd’hui. Cet amour, plus exalté il sera, et plus désireux de se traduire, plus, par conséquent, il sera actif et bienfaisant. Voilà ce que veut dire, « fille de l’Église » que vous êtes, cet appel de l’Épouse aux Filles de Jérusalem, lorsque la Sulamite les prie, si elles rencontrent le Bien-Aimé, de lui porter son message d’amour. Cela veut dire qu’en aimant pour soi on aime pour tous, qu’ « on parle pour tous, en parlant pour soi, » et « pas davantage pour soi » que pour tous. « Tirez-moi après vous, dit l’Épouse, nous courrons après l’odeur de vos parfums. » Lisez bien le texte, pesez les mots : « Tirez-moi et nous courrons… Ne me tirez pas tellement que j’aille à vous moi toute seule, mais de telle sorte que j’entraîne avec moi toutes les âmes. » Admirons dans cette exégèse ingénieuse la transposition, positiviste, si j’ose dire, des lyrismes de la contemplation unitive. Ce « pur amour » se résout en bon sens. Et voilà un mysticisme qui, en dépit de son apparente exaltation, ne risque pas de s’égarer dans l’individualisme et d’aller s’enfermer dans les petites chapelles où les initiés guyonistes célébreront à huis clos les rites suspects d’un aristocratique et paralysant « pur amour ».

  1. J’ajoute que ces conseils de « grand amour, » d’intensité dévote, un collaborateur docile et admirateur discipliné de saint Vincent de Paul pouvait bien les donner. M. Vincent ne pensait pas différemment. « Il y a plusieurs amours de Dieu, disait-il dans une de ses instructions conservées : l’un petit, faible, imparfait ; un autre médiocre ; un autre grand ; un autre très grand. Et c’est à ce dernier que nous devons buter (viser) (Les mêmes idées se retrouvent dans une Méditation sur le commandement d’aimer Dieu, publiée en 1901 par l’abbé Grisolle). »