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voudrait recommencer tout ; et, pour cela, il ne cesse jamais d’appeler le désir à son secours, désir qui commence toujours et ne finit jamais… Et c’est ce désir qui rend l’amour infini… »

— Mais quoi ! ne sont-ce pas là des encouragements de pasteur ? les Grands Mystiques les contresigneraient-ils ? — Assurément. Et pour justifier l’idée de cet amour, sans cesse recommençant, et tirant de son inachèvement même son progrès, à quelle autorité Bossuet va-t-il tout droit ? À la plus vieille, à la plus illustre, à la plus sublime, au Cantique des Cantiques, à ce texte dont les plus déterminés mystiques autorisent leurs ivresses. Et là, s’installant avec eux (soit qu’il les connût, soit qu’il se trouve les rejoindre), il raconte, comme eux, sans embarras, le beau roman de l’âme éprise, les étapes de son voyage aux cimes, ses poursuites et ses approches du « Bien-Aimé » : — silence initial, puis appels et cris impatients : « Eh ! mon bien-aimé, où êtes-vous ? Venez, venez, venez, je n’en puis plus ; »… — puis « l’invocation à la nature » pour qu’elle aussi appelle, célèbre le Bien-aimé : « Eh ! parlez donc » de Lui ! « Dites encore ! dites encore ! »… — Et l’impatience de l’Epouse, qui voudrait que tout lui fit écho, et qui, rudement, « impose silence » à tout ce qui ne l’entretient pas « du Bien-Aimé. « Ah ! gêne et enfer de l’amour, d’être contraint de s’expliquer par autre chose que par soi-même et par son propre transport ! » Du moins, poursuit Bossuet, exégète de cette psychologie passionnée, « que l’Epouse sache qu’elle est ouïe. » Le Bien-Aimé connaît « non seulement l’amour, mais le désir, non seulement le désir, mais la première pensée du cœur lorsqu’il va penser un désir. » « N’ayez donc crainte, vous l’atteindrez, » son cœur à lui, — « cœur toujours veillant qui n’échappe pas à qui le vise de quelque trait de pur amour. » — De « pur amour : » notez le mot. Ce Bossuet de 1659 ne serait-il donc qu’un pré-Fénelon qui se serait oublié par la suite ?

Non pourtant, et il semble qu’on voie déjà dans ces lettres qu’il est autre. Lisez-les entières : vous comprendrez la raison de la grande place qu’y tient cette idée que « le désir de l’amour, c’est l’amour. » S’il y tient, ce n’est pas pour provoquer aux rêves. C’est, au contraire, pour écarter le vague des rêves, et le tourment dangereux du mieux et du meilleur, et l’ambition malsaine des états extraordinaires et suspects… L’amour divin, est-on jamais sur qu’on l’a ? C’est comme la foi. Mais alors faut-il