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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/690

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connaissent ni la valeur ni les motifs, sous le prétexte qu’ils croient y voir des emblèmes de superstition, de despotisme ou de féodalité. » Sous prétexte d’abolir des emblèmes de féodalité, les citoyens les plus jaloux d’organiser la défense républicaine détruisent des feuilles d’acanthe ou de lierre, des masques, des chimères ornementales, des lions égyptiens. La Commission rend hommage à leur zèle patriotique ; mais elle les supplie de vouloir bien regarder à deux fois : « Tu crois rencontrer l’effigie d’un roi : ici, c’est la statue de Linné, de cet immortel ami de la nature ; là, c’est le dieu des bergers ; plus loin, c’est une tête de Minerve que tu mutiles. Le trident de Neptune, le caducée de Mercure, le thyrse de Bacchus te semblent être autant de sceptres : et tu les brises ! » On dirait d’une plaisanterie ; mais ce n’en est pas une : 1a malheureuse commission des arts, si bien diligente, avait affaire à des idiots en délire. Elle devait aussi ménager la susceptibilité révolutionnaire. Les forcenés abolissaient, avec les signes de féodalité, le reste : si l’on avait pu la soupçonner de conserver, avec les œuvres d’art, les « idées qui doivent être effacées du souvenir de tout Français, m tant pis pour elle et pour la tâche qu’elle avait assumée ! Il lui fallut, on aurait tort de ne pas s’en apercevoir, beaucoup de dévouement qui n’allait pas sans risques.

D’abord, elle s’occupa de Paris et des environs. Mais bientôt, par des gens d’ailleurs et par quelques-uns de ses membres qui voyageaient d’aventure, elle apprit ce qui se passait en province : la province était saccagée par le vandalisme. Beaucoup de prétendus « conservateurs » qui avaient été nommés, en divers lieux, pour réunir et inventorier les objets de sciences et arts, les dégradaient et les mutilaient « afin de n’avoir pas à rougir de la nullité ou de l’infériorité de leurs talents. » La Commission résolut d’agir. Elle envoya des commissaires ; elle entretint une correspondance très exacte avec les villes et les bourgs. Ce que révèle simplement cette correspondance est effroyable.

La Commission s’était adressée au district de Nogent-sur-Seine, au sujet d’un monument représentant la Trinité, qui provenait de la maison du Paraclet. Et les administrateurs de ce district répondent que le monument n’existe plus. Il est mort ! Les citoyens l’ont détruit, comme tous les objets consacrés au culte catholique. Ils l’ont détruit « par haine pour le fanatisme : » et c’est charmant de voir le sentiment que la haine du fanatisme développe !… À Fréjus, il y avait, paraît-il, « un Cupidon qui a servi pendant longtemps d’Enfant-Jésus : » bel ouvrage, et qui excite l’admiration des voyageurs.