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un formidable déménagement : car c’était l’ordre que, de tous les points du royaume, les œuvres d’art fussent amenées à Paris et rassemblées en quelques dépôts. Ce déménagement ne se faisait pas sans anicroches. On enlève, à Saint-Denis, le sarcophage de Dagobert, afin de le mener au dépôt des Petits-Augustins : et, dans le transport, le sarcophage se brise. On trimbale un groupe de Castor et Pollux : « le choc d’une voiture a occasionné une fraction dans ce monument. » La Commission commande que le déménagement des statues soit fait maintenant « sur un traîneau ou sur un binar à châssis de charpente dont les roues ne sont que des moyeux de deux pieds de diamètre, lesquels ayant moins de tirage donnent moins de secousses. » Elle invente un système de tenons et tasseaux, courroies et cordages, doux et bouchonnés de forts tampons de paille. Elle est désolée, quand un accident se produit et elle avise aux meilleurs moyens d’empêcher le vandalisme par imprudence.

Le vandalisme doctrinal est, pour elle, une autre occasion de chagrins et de soucis. La République veut qu’on abolisse les « signes de féodalité, » où qu’on les trouve. Mais on n’y va pas de main morte et ce qu’on abolit, dans un tableau, dans un monument, ce n’est pas les signes de féodalité seulement : c’est le monument et le tableau. Par exemple, au château d’Écouen, devenu hôpital militaire, il y a des vitraux intéressants, mais qui « offrent quelques restes de féodalité et de fanatisme ; » ils sont perdus, ces vitraux, s’ils « blessent l’œil clairvoyant du républicain : » la Commission les fait enlever, pour les sauver. Non loin de Coutances, au château de Thorigny, une galerie contenait plus de trois cents tableaux de toutes grandeurs. L’œil clairvoyant du républicain fut blessé d’y remarquer des fleurs de lys, des couronnes et autres attributs que la main vaillante du républicain se dépêcha de barbouiller. Un habitant de Coutances l’écrit à un peintre parisien : « Crois-tu que l’agent national de la commune m’a soutenu que la loi l’ordonnait, comme signe de féodalité ? Je ne te dirai rien de plus : je craindrais de trop affliger un ami des arts ! » Le peintre parisien communiqua cette lettre à la Commission des arts, qui invita le Comité d’instruction publique à prendre une mesure générale et urgente. Elle-même rédigeait et distribuait les plus honnêtes conseils, à Paris et dans la province : « Pendant que des personnes recommandables par leur civisme et leur instruction, disait-elle, sont occupées à recenser et conserver des objets qui doivent servir à l’enseignement, il ne faut pas que des citoyens tout à fait étrangers à l’étude des arts se permettent de renverser des monuments dont ils ne