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fortement improuver la conduite que vous avez tenue. Vous vous êtes entièrement écartés des devoirs que les décrets vous imposent, des avis salutaires et conservatoires que la commission temporaire des arts vous a fait parvenir... » Les administrateurs vendaient à bas prix les tableaux : c’est qu’ils les avaient abandonnés à l’intempérie des saisons ; les uns étaient effacés, les autres lacérés en outre ! Un peu plus tard, ce ne fut pas contre ces bonshommes falots que la commission défendit l’art amiénois, mais plus dangereusement contre la commission des revenus nationaux, laquelle demandait les grilles en fer, les cuivres et tous les plombs servant de couverture à la ci-devant cathédrale. On avait besoin de métaux, pour la défense de la République : à tel argument, que répondre ? La Commission des arts ne se laissa pas intimider. Elle observa que les ateliers d’Amiens ne manquaient pas de métaux : ils en étaient encombrés, au point de ne savoir qu’en faire et de les exposer à la rouille. Elle ajoutait, avec un digne accent de colère : « Le besoin de métaux fût-il aussi réel qu’il est imaginaire, ne pensez-vous pas comme nous, citoyens, que ceux de la cathédrale devraient être au moins les derniers dont il faudrait faire le sacrifice ?... On ne peut en vérité se défendre de mettre un peu de chaleur dans ses réponses, quand on a sous les yeux des propositions aussi absurdes que celles qu’on fait tous les jours. Mais ces Vandales oublient donc que les métaux qu’ils demandent décorent la plus belle basilique gothique de l’Europe ; que prétendre enlever les grilles et les cuivres de ce magnifique édifice, c’est déshonorer et briser l’accord de sa décoration intérieure ; que vouloir arracher les plombs de ses couvertures, c’est faire périr au bout de six mois une des plus riches propriétés de la République ; qu’enfin cette entreprise effrontée imprimerait au nom français une blessure dont la Nation resterait éternellement couverte ! » Bonne diatribe, et adroite : on ne s’adresse pas seulement à cet amour des arts qui est un sentiment si faible dans les foules et dans l’âme de leurs députés, mais bien au sentiment de vanité patriotique, alors en éveil. C’était embarrasser les patriotes et les engager à la méditation.

Une autre municipalité qui fut sévèrement chapitrée est celle de Strasbourg. Elle avait logé ses cochons à côté de la bibliothèque : il en résultait une odeur si horrible que les livres en étaient infectés. A Verdun, les administrateurs se virent contraints à un pénible aveu : tout ce que possédaient jadis de beaux monuments la cathédrale, les Bénédictins de Saint-Vanne et les Capucins, avait été mutilé, brisé, détruit ou vendu à vil prix par un serrurier, d’ailleurs officier municipal