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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/815

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plus sûre que Wolff accumulait les nouvelles triomphales, voilant les revers, grossissant les succès, enflant les victoires. Cette fois, c’était chose certaine, il fallait que chacun « serrât les dents, » suivant l’expression que j’ai retrouvée en tant de lettres allemandes de ce début de 1918. Ç’allait être, en mars, « la vraie bataille, » mais les « Français et les Anglais allaient recevoir une telle raclée que leur grande gueule ne s’ouvrirait plus » (Sattrum, 12 décembre 1917). On se rassurait en s’exagérant les chances ; elles étaient telles qu’il ne faudrait pas un mois pour que tout croulât devant le Feldgrau : « Les cloches de Pâques sonneront la Paix, » disait le kronprinz de Prusse à ses soldats. Mais un doute subsistait malgré tout : on allait à la victoire comme à un abîme ; il fallait en finir. « Quand, — écrit-on de Berlin le 2 février 1918, — quand commencera-t-elle, l’offensive désespérée ? » C’est l’esprit de maintes lettres.

Qui n’aperçoit dans ce mot révélateur le danger caché ? Le moral, si surexcité qu’il soit, survivra-t-il au premier échec, même s’il n’est simplement que l’arrêt de cette offensive « désespérée ? » Nous verrons la déception qui soudain met, dès avril, l’âme de l’Allemagne en détresse, sans que la victoire du 27 mai parvienne à la relever. Que sera-ce à l’heure où commenceront les grandes défaites ? Tandis que, en mars, en mai, après les deux terribles coups portés sur la Somme et sur l’Aisne, la nation française, d’ailleurs guidée dans les voies droites par ses chefs, un Raymond Poincaré, un Georges Clemenceau, tiendra ferme dans le plus effroyable péril, on verra, moins de trois mois après, la nation allemande, et l’armée même, fléchir, puis défaillir devant la seule menace d’un désastre, devant la seule perspective d’une invasion. Lorsque, le 21 mars, se déclenche l’offensive allemande, la force morale des deux partis en présence, en dépit de l’exaltation des guerriers allemands, n’est point égale, mais, tout au contraire des forces matérielles, c’est dans notre camp qu’est la supériorité.


IV. — LA STRATÉGIE ET LA TACTIQUE DE LUDENDORFF

Une telle situation ne se pouvait dénoncer dans les premiers jours. En ce début de bataille, la supériorité matérielle était trop considérable pour ne point prévaloir. Elle se fortifiait pour l’heure de la tactique adoptée par les chefs allemands,