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Il ne les redoutaient pas extrêmement. En tout cas, ils pensaient les vaincre et même les écraser à coup sûr. L’Allemagne, un instant troublée, après le suprême échec de l’entreprise de Verdun, avait, depuis la chute de la Russie, retrouvé toute son altière férocité. Celle-ci s’était, de monstrueuse façon, trahie à Brest-Litovsk. Le maréchal von Hindenburg, imposé à l’Empereur par une popularité inouïe, était devenu, le 3 septembre 1916, chef d’Etat-major général et sous le couvert de cette popularité tous les jours grossissante, l’Etat-major était devenu le vrai maître de l’Etat. En ce gros et grand homme à la tête puissante et quelque peu brutale, à la carrure massive et robuste, d’ailleurs solide et beau soldat, l’Allemagne se reconnaissait, l’Allemagne bismarckienne, amoureuse de la force. Le Gouvernement avait, en fait, abdiqué entre les mains de l’Etat-major. Celui-ci promettait la victoire et, pour gage de cette promesse, étalait les « incomparables campagnes » des années passées ; la Belgique « punie, » la France foulée, la Serbie écrasée, la Roumanie « châtiée, » la Russie écroulée ; l’Angleterre serait maintenant chassée des mers par les sous-marins ; la France, qui n’avait pu briser le cercle de fer où Hindenburg avait enfermé ses armées, allait connaître le pire destin ; l’Anglais rejeté à la mer, le Français isolé demanderait grâce. Le pangermanisme se déchaînait derechef, plus impudent, plus brutal que jamais, prétentieux jusqu’à l’extravagance. L’âme du moindre savetier saxon, du plus petit paysan poméranien s’en trouvait momentanément exaltée jusqu’au lyrisme. Une vague d’orgueil soulevait, recouvrait, submergeait tout.

Telle disposition jetait l’armée germanique à la fournaise dans une mentalité de vainqueur. Et la nation presque tout entière partageait cet état d’âme. Mais cette mentalité cachait à la nation elle-même, à l’armée elle-même, ce qui était au fond de l’âme de l’Allemagne : une sorte de « désespoir » dans l’assurance de vaincre. Ce qu’on espérait de la victoire, dans une sorte d’angoisse, ce n’était plus, au premier chef, la gloire ; ce n’était plus, au premier rang, le profit : c’était la paix, la paix ardemment, passionnément désirée. Plus qu’en aucun pays, on avait, en Allemagne, faim et soif de la paix ; on l’avait promise solennellement chaque année, pour Pâques, pour la Toussaint, pour Noël ; on l’avait crue, à chaque échéance, d’autant