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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/817

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de la Nation, car il y a du dictateur chez ce soldat. Dès le début de 1918, l’Allemagne reconnaissante appelle Hindenburg et Ludendorff les Dioscures — les jumeaux. — En réalité Ludendorff a la barre en main.

Il est assez difficile encore de juger du rôle qu’il a joué. Il semble bien, cependant, que, des plans stratégiques aux méthodes tactiques, tout soit issu de ce cerveau, d’autant que stratégie et tactique allaient se révéler parentes, et l’une et l’autre si conformes au caractère du quartier-maître général, incommode, très capable et très confiant en sa capacité, rude et roide, que l’on est autorisé dès aujourd’hui à lui en attribuer la paternité. Elles s’inspiraient l’une et l’autre de la manœuvre du coup de poing.

Celle-ci est assez simple : le maximum de forces et d’effets sur un point donné, puis, la déchirure très largement produite, le rabattement à droite ou à gauche, ou, si les circonstances s’y prêtent, le rabattement à droite et à gauche. Ludendorff ne parait pas avoir su ou pu changer de plan stratégique ni de méthode tactique, même lorsqu’après mai 1918, il sut stratégie et tactique pénétrées par son adversaire et par conséquent exposées à la parade. C’est le genre prussien ; les stratèges d’outre-Rhin qui, nous l’avons trop souvent appris à nos dépens, peuvent être de redoutables adversaires, ont presque toujours présenté le même défaut : ils manquent de souplesse ou tout au moins de rapidité dans les conceptions nouvelles qu’à tout instant impose la guerre. Le Prussien d’Iéna fut en grande partie battu parce que, nourri de la méthode frédéricienne, il n’avait point su s’adapter, même après son échec de 1792, à la méthode de combat qu’avaient inaugurée les soldats de la Révolution et que Bonaparte avait portée à la perfection. Et je ne sais ce qu’un Moltke lui-même eût donné, en 1870, en face d’un Foch. La manœuvre apparaît tout d’abord à un cerveau prussien tenir dans le coup brutal ; s’il frappe un point faible, si, ayant porté son coup, il trouve une armée facile à démonter et un adversaire incapable de parer le second coup en manœuvrant, la méthode se justifie ; mais si l’adversaire sait se dérober au second coup, s’effacer soudain pour que celui-ci tombe dans le vide, rebondir à la riposte, se jeter sur le flanc du lutteur déjà fatigué, l’environner de manœuvres, l’étourdir de combinaisons et l’assaillir de toute part, le géant prussien,