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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/844

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spontanément, à l’heure critique, à l’allié en mauvais arroi, le service qu’il fallait, grandissant tous les jours en autorité, se faisant entendre des généraux, ses subordonnés, la veille encore ses supérieurs, du maréchal anglais, du souverain belge, il ne conseillait pas seulement, il persuadait — et il persuadait parce que, devant sa démonstration un peu brusque, l’allié n’apercevait pas seulement une forte pensée, un cerveau ingénieux, mais une âme cordiale, désintéressée, tout entière vouée à la grande entreprise commune. » Reprenant ce portrait en 1917, j’ajoutais : « Ainsi est-il resté à Paris trois ans de guerre. Il n’a rien de solennel ni de composé ; il reste vif, presque pétulant. Sa pensée continue à s’exprimer en termes imprévus, en paroles pittoresques ; elle continue surtout à se poser sur tout, à tout envelopper. Le geste reste sa grande ressource.. Ce n’est pas un type à la Tite Live ; il ne discourt point suivant les règles. Tout parle en lui, le front, l’œil, les rides, les mains, mais la bouche ne laisse échapper que des mots par fusées, et cependant il persuade en démontrant. Lorsqu’on lui aura donné le bâton de maréchal, il s’en servira pour dessiner, à grands gestes, un plan sur l’horizon. »

Il n’a pas encore en mars 1918 son bâton de maréchal, mais il a dans les mains le sort du monde, car c’est ce qui se débat en ce tournoi final. La grandeur écrasante de ce rôle, pas un instant, ne saurait l’écraser. Il reste exactement l’homme que j’ai essayé de peindre en 1914 ; la bataille de France de 1918, c’est la bataille des Flandres, magnifiée : un ennemi — supérieur en nombre — à maintenir jusqu’à ce qu’on le puisse assaillir et refouler, des alliés à mettre d’accord en leur donnant avant tout l’impression du but commun à atteindre, des ressources à inventer, des troupes à transporter brusquement d’un point à un autre, des trous à boucher en une heure, des trésors d’ingéniosité au service des grands principes immuables. Seulement l’ennemi n’est plus une armée, mais treize ; le théâtre n’est plus la Flandre, mais la France ; les alliés ne sont plus trois, mais cinq ; les armées à manœuvrer ne sont plus quatre, mais quatorze. Tout est changé, Foch seul reste le même.

Un principe domine sa stratégie : point de batailles de lignes, « forme inférieure si nous la comparons à la bataille manœuvre qui fait appel à la haute action du généralissime, à l’aptitude manœuvrière, à l’emploi judicieux et combiné, à la