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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/891

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La journée de travail est de douze heures environ, avec interruption d’une demi-heure pour le dîner et de trois quarts d’heure pour la promenade. Ceux qui ne produisent pas assez sont privés d’une partie de leur nourriture. Au demeurant, ce métier est une ressource précieuse dans ma vie désœuvrée. Sans compagnons, sans livres, sans possibilité de me livrer à une occupation intellectuelle quelconque, — je n’ai pas seulement un crayon à ma disposition, — je suis heureux de ce travail manuel qui remplit mes journées. Tout en promenant le pinceau sur les feuilles de papier jaune, je médite, je prie, je laisse ma pensée s’envoler vers les êtres chers laissés au pays, je tâche de me mettre dans la peau d’un véritable ouvrier, obligé de pratiquer ce même genre de travail pour gagner sa vie et celle de ses enfants.

Werden est une grande usine encore plus qu’une prison. Du matin au soir, cellules, couloirs, cours et ateliers sont pleins d’une activité trépidante. L’air retentit du bruit fait par les travailleurs du fer et du bois. En dessous de ma cellule fonctionne un atelier pour la fabrication du papier. Seuls, les ouvriers amateurs, comme moi, sont occupés au collage des sacs. Les autres font des meubles, des moulures pour encadrements, des caisses de munitions. Un certain nombre fabriquent des grenades.

Mais Werden est autre chose encore qu’une usine, et l’impression dominante, ici, est peut-être celle de vie monastique. Le cadre, tout d’abord. On a eu beau transformer, moderniser la vieille abbaye : on n’a pas réussi à lui enlever son cachet. Nos cellules sont les anciennes habitations des moines, dont elles ont conservé les parquets de chêne, les gros murs, les petites fenêtres carrées. Les couloirs qui s’enchevêtrent à l’intérieur ne sont autres que les cloîtres du moyen âge. Dans plusieurs des salles servant d’atelier, on remarque encore de vieilles sculptures. Mais c’est surtout le préau où nous faisons notre promenade quotidienne qui a conservé l’aspect cénobitique. Hauts bâtiments conventuels, d’architecture sévère, d’appareil fruste. Un promenoir pavé règne à l’entour. Au centre, un jardin aux parterres symétriques, que relient entre eux de petites allées tracées au cordeau. Dans les parterres poussent des dahlias, des tournesols, des touffes de soucis et de pensées. Du préau, on aperçoit le campanile de la vieille église.