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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/897

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matin, on nous enchaîna étroitement, deux à deux, et, sous la conduite du Hausvater et de deux surveillants, nous nous mimes en route, à vingt-cinq, tandis qu’il faisait encore nuit noire, et gagnâmes la petite gare de Werden. Ce voyage restera un des bons souvenirs de ma vie d’Allemagne. Jamais je n’en ai fait de plus gai. La sensation de l’air libre, au sortir de notre réclusion, la faculté de parler, de rire, mais surtout la perspective d’un régime meilleur mettaient en joie les plus difficiles à dérider. Nos chaînes ajoutaient un élément de plus au pittoresque du voyage.

Ce fut dans ce même équipage, marchant deux à deux, toujours escortés de nos trois gardes-chiourme, que nous traversâmes dans toute son étendue la ville de Cassel. Le bagne est situé à trois quarts d’heure de la ville, en pleine campagne, sur une hauteur. C’est la prison cellulaire classique : cinq grands corps de bâtiment à quatre étages, disposés en étoile et percés d’innombrables fenêtres : énorme masse rébarbative, se découpant en tache sinistre sur le ciel pâle. À midi précis, nous étions devant l’entrée de la prison, une porte monumentale en style de forteresse, flanquée de tourelles crénelées. Une poterne de fer s’ouvre pour nous laisser passer dans une cour entourée de hautes murailles. Nos surveillants nous rangent sur deux files, et le Hausvater, toujours solennel, nous remet aux mains d’un personnage à barbe grise, en uniforme souillé. Un nouveau chapitre de ma vie de prisonnier a commencé.


AUTRE BAGNE : CASSEL

Cassel, c’est le type du bagne moderne. Quatre ailes y sont réservées aux prisonniers, la cinquième est occupée par les bureaux et la chapelle. À l’intersection des cinq corps de bâtiment, une centrale, d’où l’on a vue sur toutes les cellules.

L’impression, en entrant, est lugubre. Un large corridor obscur, au plafond bas. Le fonctionnaire à barbe grise qui nous a accueillis et qui exerce les fonctions de surveillant en chef, — en allemand Oberaufseher, — nous mène vers l’intérieur. Un interprète belge, un Gantois, portant la blouse du forçat, nous explique, en un français mêlé de flamand, qu’on va nous donner à manger et qu’ensuite on nous remettra les habits de la maison. On nous conduit en cellule. Nous avalons à la hâte