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nombre d’Allemands jouissent de ce privilège. Quant aux politiques, qu’ils prennent bronchites ou rhumatismes, on n’en a cure. Pour nous protéger un peu du froid, nous enroulons autour de nous nos draps de lit. À la fin de mon séjour, je m’étais confectionné avec le papier de mes sacs des plastrons matelassés. Mais tout cela ne m’empêchait pas, à certains moments, d’avoir le sang comme figé dans les veines.

Grâce à Dieu, je n’ai pas subi longtemps ce régime, ayant ou quitter Werden avant l’hiver. Mais je crois bien que si j’avais dû y prolonger mon séjour, pendant quelques mois de plus, j’aurais fini par aller goûter du cimetière si gracieusement mis à ma disposition par la Faculté… J’ai su depuis, par des Français et des Belges qui m’ont succédé à Werden, que l’hiver de 1916-1917 y avait été terrible. La nourriture, après mon départ, a encore considérablement baissé de qualité, et, en dépit de froids extraordinairement rigoureux, les prisonniers politiques n’ont eu jusqu’en février que leurs vêtements de toile.

Pour allonger un peu un régime devenu manifestement insuffisant, un assez grand nombre de détenus finirent par manger la colle destinée aux sacs. La plupart d’entre ces derniers tombèrent malades. En janvier 1917, il n’y eut pas moins de vingt morts sur une population qui atteignait à ce moment huit cents prisonniers ; pendant la première semaine de février, il y en eut dix-sept. Presque toutes ces morts, au dire de témoins dignes de foi, furent causées par la faim ou le froid, quelques-unes par l’ingestion de doses trop fortes de colle.


Heureusement, Werden n’était, pour la plupart des condamnés politiques, qu’une étape, destinée à les mater, en attendant qu’on les admît à un régime moins sévère. Après quelques mois, on les envoyait à Munster, à Rheinbach ou à Cassel, pour achever leur peine, Ils s’y trouvaient également au bagne, mais séparés des détenus allemands, et ils y jouissaient de diverses faveurs.

Ce fut ainsi qu’on vint nous annoncer un jour que nous partions pour le bagne de Cassel. La joie fut grande parmi nous. On nous remit, la veille du départ, en vue du trajet, des tuniques de bure et des souliers de cuir. Le lendemain