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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/899

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détenus, dont plus de 200 politiques. La plupart sont des Belges. Les politiques habitent les étages supérieurs des deux ailes centrales et sont presque complètement séparés des condamnés boches ; ceux-ci occupent tout le reste de l’établissement.

Il rogne entre les pensionnaires politiques de Cassel un véritable esprit de solidarité. On me sait nouveau venu, dénué de tout, sans occupation, et c’est, parmi mes voisins, à qui me viendra en aide. Tel m’envoie de quoi écrire ; tel autre me procure des journaux, car on peut, ici, s’abonner à la presse allemande et on la reçoit très régulièrement. Un troisième me fait parvenir du lait, de la viande, du pain. Un modeste ouvrier m’offre tout un colis de vivres ; j’ai peine à l’empêcher de se priver pour moi. Les Allemands voient de très mauvais œil ces commerces charitables, mais ne réussissent pas à les empêcher. Le service intérieur de la prison, dans les ailes qui nous sont réservées, est confié à des prisonniers politiques, les « calfats, » pour me servir du terme consacré : ce sont les intermédiaires tout trouvés pour faire nos courses.


Le travail ici n’a rien d’accablant. Après une semaine de farniente, un contremaitre est venu m’apporter de la besogne : des pantoufles d’enfants dans lesquelles il s’agit de coller des doublures en flanelle. Ouvrage peu compliqué, mais sale, à cause de la colle gélatineuse dont il faut constamment s’enduire les doigts. Je me promets d’en faire le moins possible et tiens consciencieusement ma promesse. Après quatre semaines j’ai collé des doublures dans trois paires, et je plains les petits boches qui seront condamnés à chausser les pantoufles capitonnées par mes soins. Le werkmeister vient, une ou deux fois par semaine, contrôler mon travail. « Vous faites trop peu, me dit-il, beaucoup trop peu. » — « C’est possible, lui dis-je avec le plus grand sérieux, mais j’aime mieux faire bien que beaucoup. Vous ne voudriez pas que je vous remette de l’ouvrage mal fait. » Lui, alors, s’approche de mes informes essais, tâte l’intérieur tout plissé de mes pantoufles, puis, l’air navré : « Vous ne ferez jamais qu’un mauvais ouvrier, » déclare-t-il, en secouant la tête.

Comme à Werden, les détenus doivent conserver entre eux, à