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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/900

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la promenade, une distance de cinq mètres et ils sont contraints au silence le plus rigoureux. J’essaie, de temps à autre, d’entamer une conversation, mais les deux surveillants de service ne nous quittent pas des yeux et rappellent à l’ordre quiconque fait mine de s’entretenir avec son voisin. Pour un mot prononcé à mi-voix, pour n’avoir pas conservé assez religieusement l’abôstand de cinq mètres prescrit par le règlement, ou avoir légèrement dévié de l’alignement, nous sommes houspillés, injuriés. Tantôt on nous reproche de marcher trop vite, tantôt d’avancer trop lentement, tantôt de rentrer d’une manière trop précipitée, tantôt de tarder trop quand la cloche a annoncé la fin de la promenade. Et ce ne sont pas seulement des reproches, mais des invectives grossières, de stupides mises en pénitence, parfois des voies de fait. Pour avoir dit quelques mots à un voisin, je me suis vu bien souvent reléguer dans un coin de la cour, tête au mur, pendant le restant de la promenade.

Puis ce sont, à tout bout de champ, des visites dans les cellules pour vérifier l’état des barreaux de la fenêtre, pour . inspecter la propreté, pour s’assurer que le lit, les draps, les couvertures sont pliés suivant les prescriptions du règlement, que la vaisselle est à sa place dans l’armoire. Puis encore, ces messieurs prétendent savoir ce que vous faites, s’enquièrent de la manière dont nous utilisons notre temps. Pour activer notre zèle, on nous annonce, une fois par semaine, la visite du directeur. Alors, chacun d’astiquer sa cellule, de faire reluire seau, bassin, vaisselle, de frotter parquet et carreaux de vitres avec la brosse à trois poils qui est ici un de nos principaux attributs. La journée se passe dans l’attente ; le soir ou donne un dernier coup de brosse, car la poussière s’amalgame chaque jour par grosses couches grises dans les cellules, et il faut que tout soit en ordre pour la tournée du grand personnage. Mais celui-ci ne vient pas et l’on s’aperçoit, un peu tard, que le surveillant nous a donné une fausse alerte.

D’une manière générale, le personnel nous traite avec la sévérité la plus brutale et ne fait aucune distinction entre nous et des malfaiteurs. Dès qu’on nous prend en défaut, ce sont aussitôt des cris, des objurgations, des menaces. À Werden, la prison retentissait du bruit des marteaux, des scies, des enclumes. Ici, ce sont des cris, des cris du matin au soir, cris de l’Oberaufseher, — l’ « Ober, » comme nous le désignions