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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/926

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qu’on lui opposait parfois comme un rival, aimait à exercer une verve sarcastique qui n’épargnait personne. Il la tournait d’abord contre la prose officielle du Grand-Quartier général et n’était jamais plus heureux que lorsqu’il racontait avoir reçu, au cours d’une promenade, une volée d’obus d’un fort que le communiqué de la veille représentait comme « réduit au silence. » La nouvelle que son collègue Manteuffel dirigeait une armée contre Garibaldi lui inspira cette comparaison irrévérencieuse : « Quel beau spectacle ! Ce sera comme dans les combats de lions des journaux pour rire, où les deux adversaires se dévorent l’un l’autre jusqu’à la queue ! » Pas plus que d’autres, comme on le voit, l’armée allemande n’était protégée contre les discordes et les compétitions personnelles par la rigueur de la discipline.

Un seul sentiment semblait réunir dans un culte commun des hommes que séparaient d’ardentes rivalités de métier : c’était cette passion de rapine qui caractérise la race, et à laquelle le séjour dans une résidence telle que Versailles offrait une magnifique carrière. Dès le début de l’occupation, les riches villas des environs avaient été soumises à un pillage en règle ou à une destruction systématique. Dans la ville même, plus ménagée, on vit, entre autres exemples, des généraux et des princes s’offrir mutuellement comme cadeaux de Noël des objets d’art volés dans l’incendie du palais de Saint-Cloud ; le chef de la police, Stieber, emballer pour la Prusse la pendule, les vases et les statues qui ornaient son appartement ; enfin, la municipalité réclamer vainement au Chancelier lui-même, lors de son départ, le service damassé qu’elle avait mis à sa disposition. L’Allemagne officielle n’avait pas manqué cette occasion d’affirmer sa fidélité à ses traditions.


II

Versailles devait présenter au cours de la guerre un autre genre d’intérêt que l’animation extérieure de ses rues. La résidence du Roi devint naturellement le siège des pourparlers qui aboutirent à sa proclamation comme Empereur d’Allemagne. Si le souvenir, maintenant effacé par de glorieuses réparations, en est resté longtemps douloureux aux Français, le récit en offre aussi des constatations satisfaisantes pour leur patriotisme.