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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/925

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Pour compléter ce dénombrement, il faudrait encore y faire figurer, à titre de « troisième échelon, » tous les auxiliaires civils qu’une chancellerie et un Etat-major traînent toujours à leur suite : fournisseurs en quête de marchés et correspondants de guerre en quête de nouvelles ; agents de la police secrète sous les ordres du fameux docteur Stieber ; conseillers officieux, tels que le député Bamberger, qui apportait à Bismarck l’expérience d’un long séjour à Paris ; collaborateurs d’un préfet prussien, M. de Brauchitch, chargé d’administrer le département de Seine-et-Oise ; enfin, membres de missions diplomatiques ou militaires étrangères, qu’attirait à Versailles la présence du Chancelier ou le désir d’étudier les méthodes de guerre prussiennes.

Tout ce personnel officiel, réuni pour le service de la même cause, se trouvait divisé par des luttes d’influence plus ardentes souvent que les combats quotidiens livrés aux avant-postes. Les plus persistantes étaient celles qui mettaient aux prises les éléments civil et militaire. Il n’était pas de jour où Bismarck ne se plaignit d’être traité en mineur par les « demi-dieux » de l’Etat-major, laissé dans l’ignorance des événements de la guerre, réduit à se renseigner auprès des princes ou même des journalistes anglais. Cet antagonisme latent faillit tourner en conflit ouvert à propos du bombardement de Paris. Le Chancelier y voyait le seul moyen de hâter la capitulation, et de prévenir ainsi par un fait accompli une intervention étrangère dont la menace ne cessa de l’obséder ; Moltke et Blumenthal, suspectés bien à tort par lui d’obéir à des influences de cour, estimaient au contraire que les avantages de l’opération n’en balanceraient pas les frais, qu’elle rencontrerait de grosses difficultés matérielles et qu’elle soulèverait des protestations européennes sans avancer la date d’une décision militaire que la famine amènerait à coup sûr. Cette controverse devait se prolonger jusqu’au milieu de décembre.

Entre les deux partis opposés, les princes récoltaient à la fois les mépris des fonctionnaires civils, qui les traitaient de gêneurs, et des militaires, qui les considéraient comme des « embusqués. » Enfin, la concorde était loin de régner dans le haut commandement lui-même, Moltke ne supportait qu’en grommelant la présence à Versailles du Ministre de la Guerre Roon, dont il assurait que la place était à Berlin. Blumenthal,