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des deux tiers, il eût suffi d’un déplacement de deux suffrages pour que le vote restât sans effet pratique. On voit par là combien étaient fragiles les fondements de l’édifice politique si péniblement échafaudé à Versailles.

Il ne restait plus pour le couronner qu’à obtenir l’adhésion du principal intéressé : elle devait jusqu’au dernier moment rester douteuse et incomplète. Défini par Bismarck comme « un des particularistes les plus décidés parmi les princes allemands, » Guillaume Ier mettait au-dessus de tout son titre héréditaire de Roi de Prusse ; il ne le croyait nullement grandi par l’adjonction d’une dignité qui, dans les circonstances actuelles, lui paraissait plus honoraire encore qu’honorifique, et qui évoquait à son esprit le souvenir des plus tristes périodes de l’histoire d’Allemagne : « Voilà un bel honneur que je dois à M. Lasker ! » s’était-il écrié en apprenant la prochaine arrivée de la délégation du Reichstag. Pour le faire renoncer à ce rôle d’opposant à sa propre élévation, Bismarck dut dépenser des trésors de persuasion, lui représenter quel prestige le titre d’Empereur exerçait sur les masses et lui demander finalement s’il trouvait. plus reluisant celui de « Président de la Confédération, » dont il était déjà investi.

Guillaume semblait résigné, sinon convaincu, quand une autre querelle de mots vint réveiller toutes ses répugnances. Il comptait être Empereur d’Allemagne comme il était Roi de Prusse ; mais le Reichstag avait sagement substitué à cette dénomination celle d’Empereur allemand, parce qu’elle pouvait soulever les protestations des petits États, en paraissant impliquer un droit de souveraineté sur les territoires non prussiens. Pour tenter de lui faire accepter ce qu’il regardait comme une diminution, il fallut que Bismarck cherchât des arguments dans la philologie historique, invoquât des précédents, citât les exemples de l’Imperator Romanus et du tsar russe. Insensible à cet étalage d’érudition, Guillaume mettait une sorte de point d’honneur à déclarer, jusqu’à la veille du jour fixé pour sa proclamation solennelle, qu’il serait Empereur d’Allemagne et rien d’autre.


III

Cette cérémonie, retardée par la lenteur des pourparlers dont elle fut le résultat, avait été ajournée jusqu’au 18 janvier,