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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/938

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de trouver qu’il avait le triomphe trop modeste.

Au terme de cette journée historique, un nouvel Empire militaire était donc né, dont la constitution avait duré cinq mois, et dont la menace devait peser pendant près d’un demi-siècle sur l’Europe et la France. Jamais, comme on vient de le voir, enfantement ne parut plus laborieux, ni création politique plus artificielle ; jamais les procédés favoris de la politique bismarckienne, l’imposture, le chantage et l’intimidation ne s’étalèrent avec plus d’impudeur qu’au cours de cette campagne diplomatique, dirigée non plus contre des étrangers, mais contre des compatriotes, et destinée à transformer une alliance d’états souverains en une servitude imposée à tous au profit d’un seul. Les erreurs morales de l’ouvrier devaient faire la faiblesse cachée de l’œuvre. L’édifice dont il avait hâtivement improvisé la somptueuse façade à Versailles ne reposait pas sur des fondements assez profonds et recelait trop de vices de construction pour opposer une résistance suffisante aux chocs extérieurs qui en éprouveraient la solidité. Ce n’est donc point un caprice du hasard, ni une ironie de l’histoire, ni une pensée raffinée de revanche qui ont désigné la Galerie des Glaces pour la signature du traité où s’est abîmée la grandeur de l’Empire allemand. La logique des expiations voulait que les mêmes lieux fussent témoins de son élévation et de son écroulement, car les circonstances de l’une expliquent à l’avance et annoncent en grande partie la soudaineté de l’autre. En ce sens, les journées triomphantes qu’a connues Versailles au cours de cet été peuvent être considérées, non seulement comme la rançon, mais encore comme la conséquence lointaine des événements qui s’y sont déroulés en 1870, pendant les tristes mois de l’occupation prussienne.


ALBERT PINGAUD.