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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/937

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aussitôt refroidi par une interminable parade qui eût été plus à sa place dans une fête de cour que dans une manifestation nationale : on vit les nombreux officiers présents défiler par régiments devant l’Empereur, auquel ils adressaient en passant une révérence protocolaire. Au moment enfin où se terminait la cérémonie aux sons entraînants de la Marche de Hohenfriedberg, un incident assez déplaisant, quoique peu remarqué, vint en représenter l’épilogue et la moralité. En descendant de son estrade pour se mêler à l’assistance, Guillaume Ier alla tendre la main aux généraux de Hartmann et de Blumenthal qui se tenaient aux derniers rangs, en affectant de ne pas apercevoir Bismarck, debout pourtant devant lui. Il ne pouvait encore lui pardonner la renonciation forcée au titre d’Empereur d’Allemagne ! Comme plus tard son petit-fils, il inaugurait sa carrière impériale par un acte d’ingratitude envers l’homme auquel il devait la grandeur de sa maison.

Le sentiment de malaise moral qui avait percé à travers toutes ces pompes extérieures se traduisit encore dans la soirée par quelques épisodes caractéristiques. Tandis que les soldats dépensaient dans les tavernes le thaler qu’ils avaient reçu comme don de joyeux avènement, et que leurs officiers se réunissaient en une colossale beuverie à l’Hôtel de France, les Réservoirs recevaient leur clientèle habituelle de princes, encore revêtus de leurs uniformes de gala et un peu mélancoliques cette fois à la pensée que, depuis le matin, ils avaient un maître. L’un d’eux, le jeune Georges de Schwarzbourg, arrivé en retard, traduisit l’impression générale en leur lançant, tandis qu’il défaisait sa cuirasse, cette sonore apostrophe : « Eh bien ! qu’en pensez-vous, vassaux ? » Cette boutade donna lieu à une série de commentaires que le principal témoin de la scène déclare ne pas oser reproduire.) — A la même heure, Guillaume Ier, invité à un thé intime chez son fils, le trouva dans un coin du salon fort occupé à montrer à quelques officiers un croquis jeté sur une feuille de papier. Il s’approche d’eux, s’informe de ce qui attire leurs regards, et apprend que le dessin représente les armes de l’ancien Empire allemand, destinées à redevenir l’écusson du nouveau. On attendait de lui de nouvelles questions, un geste d’intérêt, ou au moins de curiosité. Il se contenta de répondre par un « Ah ! » bien sec, et tourna les talons d’un air de suprême indifférence. On ne put s’empêcher