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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/117

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des cinq derniers années. Ils m’ont répondu en témoins impartiaux, dégagés de préférences personnelles et s’appliquant, suivant l’expression allemande, à juger les hommes et les choses d’un point de vue objectif.

Le peuple allemand, m’ont dit ces Messieurs, dont je condense ici les opinions, a été trompé plus encore qu’il ne le croit lui-même. Le haut commandement ne lui a jamais annoncé que des victoires avec preuves à l’appui, capture de prisonniers, de canons, de butin de toute espèce, prise de villes et de territoires. Cependant la population berlinoise attendait toujours la nouvelle d’un second Sedan, la capitulation en masse d’une armée ennemie, ou l’entrée à Paris qui eût mis fin, pensait-elle, à toute résistance, et cette nouvelle n’est jamais venue. C’est pourquoi on a eu beau sonner les cloches à Berlin et pavoiser les édifices, l’enthousiasme du début s’est peu à peu calmé et refroidi. Mais malgré les déceptions il n’a jamais fait place au doute, ni à l’inquiétude. On a gardé pleine confiance dans le triomphal final ; on se raidissait obstinément contre les privations et les souffrances, si dures, si prolongées qu’elles fussent, et qui sévirent dans toute leur rigueur à partir de l’hiver de 1917.

Pendant l’offensive de 1918 l’espoir a redoublé. Enfin on touchait au dénouement, on n’était plus qu’à quelques lieues de Paris, à quelques toises de la victoire. Il y eut bien ensuite certains craquements du front allemand et certains reculs qui auraient dû avertir des esprits plus défiants, mais le grand quartier général les qualifiait de manœuvres stratégiques. Et voici que tout à coup la nouvelle éclate à Berlin, comme une bombe d’avion, que la partie est perdue, la guerre terminée, le Kaiser en fuite, l’armistice conclu, et à quelles conditions ! S’il est parfois de bonne précaution et de sage politique, au cours d’une guerre, de voiler ou de farder la vérité pour ne pas ébranler le moral d’une nation, l’altérer et la travestir jusqu’au bout, jusqu’au désastre, est une folie, sinon un crime.

L’auteur responsable de la situation où se débat l’Allemagne, le conseiller de la lutte à outrance, l’homme fatal qui a empêché la paix de se conclure plus tôt, c’est Ludendorff. Curieux mélange de talents incontestables, d’extraordinaire infatuation de soi-même et de rouerie supérieure cachant une ambition illimitée. Il a su merveilleusement écarter les obstacles qui le