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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/212

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par certains côtés ressemblerait un peu aux personnages de la Vie de bohème et — c’est, en apparence, compliqué — d’une autre vie de bohème où l’auteur des Moralités légendaires, Jules Laforgue, aurait passé. « Quand vous plaisantez, il y a quelque chose qui tremble dans votre voix, » dit à Gabriel une gentille femme qu’il étonne sans le vouloir. Cette gentille femme, une petite Marie et qui est modiste, a lu ses livres et, pendant qu’elle est son amie, les juge avec indulgence : « Oui, c’est bien toi : ça rit pointu ; c’est brave gosse, au fond, mais on n’y comprend pas grand’chose. » Quand elle ne l’aimera plus guère, elle dira : « J’ai lu ce qu’il écrit : ça n’incite ni à rire ni à pleurer. Je ne suis pas instruite, mais j’ai du goût, je sais où une phrase émouvante serait agréable... » Cette petite Marie n’est pas sotte. Elle veut sa phrase émouvante : et Gabriel la lui refuse. Elle, qui fait des chapeaux, sait les chapeaux qui se vendent, les chapeaux qui plaisent parce qu’ils sont beaux. Lui, ne sait pas faire un livre comme on en demande. Elle essaye de l’instruire : « Soyons sérieux une minute, lui dit-elle. Écoute : tu choisis l’idée qui se porte et tu la chiffonnes avec goût. » Elle conclut, d’un mot : « Voilà ! » Mais voilà justement ce qu’il n’admet pas. A toutes ses remontrances, il ne répond rien d’abord ; et l’on dirait qu’il songe. Elle insiste et n’obtient que cette réponse qui la déconcerte : « Non, vous ne m’enlèverez pas ma gaieté ! » Mais il n’est point question de cela : ne le comprend-il pas ? « Non, vous aurez beau vous y mettre à tous, vous n’y réussirez point. C’est une affaire entendue : vous ne m’enlèverez pas ma gaieté. » Ce qu’il appelle sa gaieté est une façon de rire à travers ses larmes.

Si la petite Marie se figure qu’il n’entend rien à la philosophie réaliste qu’elle lui propose, elle a tort. Un jour qu’il a pris de bonnes résolutions, écoutez-le : « Un de mes camarades du collège s’était fabriqué une sorte de flageolet. Il se mettait dans un coin de la cour et il exécutait des airs de sa composition. Les autres avaient beau lui demander de jouer la Mère Grégoire, il refusait. On le tenait pour un idiot et on le détestait. — Et on avait raison ! » s’écrie la petite Marie. « Moi, je vais jouer la Mère Grégoire ! » s’écrie à son tour Gabriel. Et il est de bonne foi ; mais il se trompe : il continuera de jouer, sur sa petite flûte, la chanson qui le distrait de son déplaisir.

Il a fait vœu de fantaisie, en littérature, et puis dans la vie quotidienne. En littérature, « cela permet de donner aux sentiments et aux événements leur valeur exacte, sans exagération romanesque. » Il déteste ce qu’on appelle roman, c’est-à-dire une aventure où les