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toujours celui que j’aimerai le mieux... » Dorel a murmuré d’abord : « Si j’avais su... » et la pauvreté de son bienfaiteur lui a donné des scrupules ; mais il a vite senti que Victor était riche de générosité.

M. Frédéric Boutet prête à la plupart de ses personnages une sensibilité, une tendresse de cœur et une délicatesse ravissantes. Si l’on dit que ce n’est pas là peindre toute la vérité, c’est peindre quelque vérité cependant. Et la peinture de l’humanité abominable, on l’a faite avec entrain : du reste, si l’abominable peinture était exacte, il y a longtemps que l’humanité aurait disparu de ce monde, anéantie par elle-même. M. Frédéric Boutet vient du réalisme, comme en témoigne son recueil intitulé La lanterne rouge ; il s’est essayé aussi dans un genre qui est le contraire du réalisme : il a tenté l’extravagance, comme le prouvent, sans gaieté, son Homme sauvage et son Julius Pingouin. Désormais, il aime davantage une vérité qu’il a choisie à son goût. Ses personnages sont tels que vous rencontrerez leurs pareils, si vous les cherchez avec amitié. Ils ont des âmes : cela étonne, si l’on n’a point accoutumé de voir au delà des visages et même au delà des physionomies. Quand ils semblent un peu meilleurs qu’on ne s’attendait à les trouver, M. Boutet ne les a pas dénaturés : mais à leur peinture on dirait qu’il ajoute un conseil ; et c’est charmant.

M. Henri Duvernois également vient du réalisme. Son Faubourg Montmartre et son Roseau de fer sont des romans où montre son adresse un élève d’Emile Zola et des Goncourt. A-t-il renoncé à cette manière ? D’ailleurs, il ne s’agit pas de renoncer à tout réalisme : et certes il ne s’agit pas de renoncer à la réalité, mais de savoir que l’art est maître, et non esclave, de la réalité. Dans ses contes, M. Henri Duvernois se donne beaucoup plus de liberté. Principalement, il s’amuse. Il a une drôlerie, quelquefois un peu grosse, plus rarement un peu vulgaire, et souvent excellente. Il ne craint pas d’être cocasse et fait de fortes caricatures. Ses bonshommes et bonnes femmes ont de la parenté avec Bouvard et avec Pécuchet, grande famille et si nombreuse ! L’influence de Flaubert sur la littérature d’hier et d’aujourd’hui est immense, et par Bouvard et Pécuchet surtout. Mais le nouveau roman de M. Henri Duvernois, son Edgar, indique l’émancipation de cet écrivain, qui se dégage de l’ancien réalisme et ne va plus à la caricature : il s’évade par les chemins de la fantaisie.

Il s’éloigne du réalisme, et non de la réalité. Sa fantaisie n’est point une folie, mais une vue de la réalité. Son héros se console d’un chagrin réel en se disant : « Nulle raison de pleurer : les réalités sont provisoires. » Son héros est un écrivain, Gabriel Chévetain, qui