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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/286

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appartenant à la communauté et garantissant pour l’avenir, au moyen de partages périodiques, un minimum nécessaire pour la subsistance des membres de la communauté.

La méthode suivie par la loi de 1861 sur l’émancipation entraîna les conséquences suivantes. Le paysan y trouva la preuve que sa conception plus ou moins vague d’un droit primordial qu’il avait eu sur les terres du propriétaire était partagée par le Tsar et son Gouvernement ; il ne comprit pas pourquoi, dans ces conditions, il ne recevait qu’une partie de ces terres, fixée plus ou moins arbitrairement, et non la totalité ; il conclut que l’expropriation des propriétaires était un acte de simple justice, la reconnaissance de son droit préexistant, mais qui, sans motifs suffisants, s’arrêtait à mi-chemin. Il s’habitua à penser que la partie des terres qui restait au propriétaire après l’émancipation, devrait, un jour ou l’autre, lui revenir en vertu de ce même droit primordial. La propriété privée de l’ancien seigneur, devenu simple voisin, ne fut reconnue que comme une situation de fait, non comme un vrai droit absolu.

D’autre part, le droit du paysan à la terre qu’il avait acquise n’était pas, dans la conception des réformateurs de 1861 et dans la conscience juridique de la masse, un droit de propriété pure et simple. La communauté de jouissance des terres paysannes était une négation de la propriété et entraînait l’idée que la terre n’était qu’un fonds public destiné à couvrir les besoins des cultivateurs.

Quiconque connaissait la campagne, en Russie, s’était familiarisé avec cet état d’âme des paysans russes d’après l’émancipation. Il comprenait que la paix sociale, qui paraissait y régner, cachait les germes d’un dissentiment profond et d’un malaise continuel. Dans son for intérieur, le paysan jugeait l’ancien noble comme le dépositaire injustifié du fonds de terre de réserve qui, depuis longtemps, aurait dû échoir aux petits cultivateurs.

Au cours du demi-siècle qui sépare la crise de 1905-1906 de l’émancipation des serfs, le fond des choses à la campagne était resté le même. Les progrès agronomiques dans la petite culture étaient lents ; aussi fallait-il accroître la superficie des terrains cultivés par le paysan pour assurer sa subsistance. La grande propriété était également peu progressive. Elle n’arrivait pas,