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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/310

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dans les villages, pour en tirer de quoi faire vivre les villes et l’armée. Les paysans sont dans l’impossibilité de se défendre, et toute velléité de résistance est réprimée à main armée. Des émeutes paysannes se produisent journellement dans toutes les parties de la Russie soviétiste. La presse officielle et les discours des chefs bolchévistes sont remplis de plaintes amères, dénonçant l’opposition qu’ils rencontrent chez les petits « capitalistes » campagnards.

Pour y remédier, le gouvernement fait appel aux paysans pauvres et il a tâché de créer dans les campagnes des « comités de la pauvreté paysanne, » espèce de dictature locale du prolétariat agricole. Mais il a dû comprendre qu’en fait, le paysan pauvre en Russie, où chacun a droit, d’après la loi, à un lot de terre, est celui qui travaille mal et ne produit rien. On s’est adressé alors au « paysan de condition moyenne. » Mais cet appel a eu le même résultat négatif. Dès qu’on met la main sur la récolte du paysan, celui-ci, quel qu’il soit, petit, moyen ou riche cultivateur, sera toujours mécontent et tâchera toujours de cacher son bien. Alors l’agent du pouvoir intervient ; il fait des perquisitions et saisit la récolte.

Le paysan, lors de l’avènement du bolchévisme, lui a été certainement très favorable. Grâce au coup d’Etat, il a pu s’emparer des terres du propriétaire et réaliser ses anciennes aspirations. La déception n’a pas tardé à venir. L’arrivée, à la campagne, des ouvriers fuyant les villes et résolus à participer au partage des terres, a été un premier désappointement. Et depuis que le pouvoir bolchéviste est apparu aux yeux du paysan sous la forme d’une expédition militaire qui vient s’emparer de son bien à main armée, il est devenu franchement hostile au nouveau régime. Il pleure le bon vieux temps d’avant la dictature « des ouvriers, paysans et soldats » où sa récolte lui appartenait en droit et en fait. Autant qu’il peut éviter la réquisition et vendre son blé par l’entremise d’un « homme au sac, » il continue à labourer son champ. Mais le jour où il comprendra que seul un « Existenz minimum, » prescrit par les lois bolchévistes sur le monopole agricole, lui sera laissé en fait, il ne travaillera plus que pour produire ce minimum. On peut être pour ou contre le monopole gouvernemental des blés tant qu’on se borne à traiter la question au point de vue théorique ; mais aucun bolchevik ne saurait nier