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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/313

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La tyrannie des commissions extraordinaires bolchévistes « pour combattre la contre-révolution et la spéculation, » (il faut noter que, pour les bolchévistes, tout ce qui n’est pas bolchévisme est « contre-révolution, » et tout ce qui est manifestation de saine activité économique est « spéculation, ») ne serait pas possible si le bolchévisme n’avait organisé un appareil de contrainte très puissant. Cet appareil, c’est l’Armée Rouge.

Au début, le bolchévisme était pacifiste et l’on discutait avec acharnement à l’intérieur du parti, si la doctrine social-démocrate permettait ou non la création d’une armée sur la base du service militaire obligatoire. La nécessité de défendre le pouvoir mal assis l’emporta, et l’on procéda à l’organisation d’une nouvelle armée. Trotzky, après l’échec éclatant de ses combinaisons diplomatiques, fut chargé de cette besogne, et il réussit à refaire une armée.

Sa méthode fut très simple. Après la débâcle militaire provoquée par le coup d’État, il restait des cadres d’officiers qui furent de nouveau mobilisés et durent se soumettre pour éviter la mort ou la faim. A l’aide de ces cadres, on procéda à des mobilisations et, petit à petit, on reconstitua l’ancienne armée. Je souligne le mot ancienne, parce qu’il explique un fait qui parait grandement impressionner l’étranger. Les officiers ont été obligés de rentrer dans les cadres par suite du danger qu’ils couraient en restant en dehors et par la nécessité de gagner leur pain et de subvenir aux besoins de leurs familles. Des milliers de héros ont préféré périr, mais on ne pouvait s’attendre que tous fissent de même. Et puis, que de prétextes ne trouve-t-on pas pour excuser les défaillances ? Le plus souvent on se dit que, l’armée une fois reconstituée, on pourra se défaire des bolcheviks. Une comparaison d’usage courant dans la Russie soviétiste explique que ces officiers sont comme des radis : rouges à l’extérieur, blancs à l’intérieur. A l’aide de ces cadres, l’armée a été facilement reconstituée. On organisa les unités, les états-majors, les bureaux de l’administration militaire, et ensuite on procéda à des mobilisations.

La population, fatiguée par la guerre, y oppose naturellement une résistance passive. Sur cent jeunes gens appelés sous les armes, il en vient peut-être une cinquantaine, dont encore la majorité a-t-elle l’intention de déserter à la première occasion.