Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

risque d’être fusillé pour toute défection qui viendrait à se produire ; et on sait à quel point la peur rend cruel.

Au cours de l’offensive de Youdenitch, les bolchévistes ont cru devoir prendre un surcroît de précautions. Ils ont inventé une sanction dont l’odieux dépasse tout ce qu’on peut imaginer : chaque officier devait déclarer le nom et l’adresse de sa femme et de ses parents ; ceux-ci étaient déclarés otages et fusillés en cas de désertion du mari ou du fils.

Sous ce régime de terreur, l’armée rouge qui, en elle-même, est prête à se disloquer à la première occasion, est obligée de subir le bolchévisme et non-seulement de le subir, mais de le soutenir et de le renforcer.

Le service sous le drapeau rouge est considéré par l’énorme majorité des soldats et par la presque totalité des officiers comme une honte et un déshonneur ; pourtant, l’on se soumet non seulement par défaillance morale, mais par dure nécessité.


VI

A mesure que se prolonge la tyrannie bolchéviste, c’est de plus en plus la famine qui s’installe et la cessation complète de l’activité économique et intellectuelle d’un grand pays.

Chacun, en Russie soviétiste, à commencer par les plus humbles, a la conscience très nette que cet état de choses doit finir, que toutes les souffrances morales et matérielles, imposées par le bolchévisme, sont passagères. Une solution est, en effet, inévitable. Mais on se demande laquelle.

Ceux qui voient les choses de loin en imaginent deux : l’évolution lente du bolchévisme vers un régime plus modéré et moins anarchique, ou la libération du pays par les efforts du mouvement national antibolchéviste. Mais tous ceux qui connaissent la Russie comprennent très bien que pareille alternative est purement fantaisiste. Le bolchévisme mitigé n’existe pas et ne peut pas exister, pour plusieurs raisons.

Il y a dans chaque société humaine un fond considérable d’opportunisme, et le Russe n’a pas le naturel haineux et vindicatif. On pouvait donc s’attendre à ce qu’un gouvernement, quelles que fussent ses origines, ayant au début établi sa domination sur tout le territoire immense de l’ancien empire russe, serait accepté par la majorité et, par une conséquence logique,