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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/443

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gauche et à droite des maisons, des magasins, des trottoirs et une foule endimanchée qui se promène. Et ces gens n’ont point l’air triste. Ils ressemblent à tous ceux qui, en ce moment, dans toutes nos villes de province, font leur promenade dominicale. Mais à côté d’une maison qui va s’écrouler, en voici une qui n’a gardé que la moitié de son toit. Celle-ci n’est plus qu’une façade ; celle-là a été bizarrement coupée en deux. Les devantures sont barricadées. Le papier et la toile huilée ont presque partout remplacé les vitres, — la toile huilée du moyen âge. Pas un mur qui ne soit meurtri ; et à cette longue rue aboutissent des rues en ruines, des affluents de décombres.

Arras était moins une vieille ville qu’une ville qui avait conservé son ancienne physionomie. Quand Hugo la visitait en 1837, il se plaignait qu’elle n’eût point d’églises, de belles et vieilles églises, s’entend. La Révolution les avait jetées à bas. Il en restait pourtant une du XVIe siècle, Saint-Jean-Baptiste. Elle a été incendiée en juillet 1915. La Cathédrale, ancienne chapelle des moines de Saint-Vaast, lourd monument du XVIIIe siècle, est démolie ; leur Abbaye, qui était devenue l’évêché et le grand séminaire, et dont la loi de séparation avait fait une Manutention, un Musée, une Bibliothèque et l’Académie d’Arras, est démolie. Mais depuis un demi-siècle, on avait édifié des églises charmantes : l’église Saint-Géry dans le style du XIIIe siècle ; la chapelle des Bénédictines, dite du Saint-Sacrement, dans le style flamboyant du XVIe. Elles sont détruites. La seule que le bombardement ait épargnée, — et l’on s’en émerveille, — date de 1876, Notre-Dame des Ardents, une église romane en briques et en pierres blanches, qui s’élève extraordinairement imprévue et reposante au milieu d’une petite place tranquille.

À défaut d’églises, Arras possédait encore de vieux hôtels du XVIIe siècle ; ils n’existent plus. Elle possédait surtout ses deux places, la Petite et la Grande, reliées entre elles par la rue de la Taillerie, dont le nom rappelait l’aunage légal, la taille, employée jadis chez les marchands de drap. L’administration municipale ne permettait de toucher à leurs façades qu’à condition d’en restituer les moindres ornements. Elles étaient uniques dans les Flandres, et l’Espagne n’avait rien qui pût leur être comparé. C’était l’orgueil et la gloire de la ville, le reliquaire hispano-flamand de ses coutumes et de ses traditions,