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pendant quelques jours si dangereuse pour le piéton habitué à traverser les boulevards parisiens, suffirait à vous démontrer que Paris est loin, bien loin, séparé de là par l’immense espace que déroulent entre les hommes des habitudes différentes.

Et puis on s’y fait ; on s’habitue très vite à ces quais de gare affleurant au plancher des wagons, de manière à éviter au voyageur la montée et la descente des marches ; on s’habitue très vite aussi à ces mille commodités hydrothérapiques, à ces trois repas dont l’importance relative ne suit nullement le cycle français ; à tous ces petits perfectionnements pratiques, répandus jusqu’aux classes les plus misérables de la population, et qui rendent là-bas la vie si « confortable. » Et puis quand on a pris très vite toutes ces habitudes, dont on aura quelque chagrin à se défaire au retour ; quand on n’est plus absorbé et obsédé par elles, on se prend à regarder plus loin. Ce qu’on voit alors est d’un violent intérêt : c’est le spectacle étonnant d’un peuple qui ne connaissait rien de la dure paix armée imposée à ses voisins continentaux ; qui s’est adapté à cet état militaire, si éloigné de ses mœurs, et qui maintenant, débouclant et déposant, avec une prestesse ordonnée et non moins admirable, toutes les pièces de sa puissante armure, se remet au travail pacifique.

Ce que représente pour la cause alliée l’effort britannique militaire et naval, quelques chiffres suffiront à le rappeler, dont l’éloquence concentrée dédaigne tout commentaire.

Le personnel de l’armée navale anglaise est passé de 146 047 hommes en juillet 1914 à 408 316 à la date de l’armistice. Du début de la guerre jusqu’en mars 1919 la flotte a transporté près de 27 millions d’hommes, sur lesquels 4 394 seulement, soit 1 pour 6 000, ont péri dans les traversées, du fait de l’ennemi. Elle a transporté en outre dans le même temps plus de 192 000 prisonniers, plus de 2 200 000 animaux, plus de 512 000 véhicules ; 242 millions de tonnes de marchandises, matériel et combustible. Une image donnera une idée de la fourmillante activité des navires britanniques pendant la guerre : tant vaisseaux de guerre que navires auxiliaires, l’espace parcouru par eux dans l’espace d’un seul mois représentait 7 millions de milles marins, ce qui équivaut à environ 290 fois le tour de la terre !

Quant à l’effort militaire correspondant, deux chiffres suffiront à en faire mesurer l’ampleur : tandis qu’en août 1914 toutes les forces militaires de l’Empire étaient de 733 000 hommes, le nombre total des hommes enrôlés a atteint 8 689 000 hommes, dont 724 000 ont péri et plus de 2 millions ont été blessés.