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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/466

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devenus tels qu’ils eussent correspondu sans doute à un temps dix fois plus long en période normale. Pour sortir de ces difficultés, il nous faudra donc, nous aussi, accélérer l’allure, et créer maintenant en cinq ans une évolution sociale et des réformes qui, avant la guerre, eussent exigé cinquante ans. Patience et justice, tel doit être notre mot d’ordre. En tout cas, et la grève des chemins de fer l’a montré, jamais le peuple anglais ne permettra qu’une de ses fractions, si puissante soit-elle, prétende maîtriser le gouvernement que tous se sont librement donné. »

Les pelouses fraîches du parc de Saint-James sont moelleuses aux pieds du Parisien qui a l’habitude de ne jouir que visuellement, à travers des fils de fer, et sous l’œil sévère des gardes, des gazons qu’on trouve aux parcs de sa ville. C’est là, près du Ministère de la guerre où veillent, si pittoresques dans leur ronge uniforme cuirassé, deux horse-guards, sentinelles équestres et magnifiques, tout près aussi du noble palais de Buckingham, que siègent dans des baraquements improvisés et modestes les bureaux de la mobilisation.

C’est là que nous a reçu, entouré d’un brillant état-major, le major-général Burnett-Hitchcook, directeur, général de la mobilisation. « Je parle, nous a dit cet officier général, parfaitement le français ; mais le préjugé insulaire veut que je vous donne quand même en anglais mes explications. » Ces explications furent si intéressantes que j’ai pardonné au major-général ce préambule qui était pourtant sérieux et n’avait rien d’une boutade. Qu’il me permette pourtant de lui dire ici, — j’admire assez vivement son œuvre pour qu’il autorise cette petite réserve, — qu’un officier français, dans la même situation..., et sans doute aussi beaucoup d’officiers anglais, eussent dit et fait le contraire. Ce préjugé naïf, qui faisait jadis qu’un Anglais eût cru déroger en parlant un idiome étranger, a fait son temps et perdu beaucoup de sa valeur, depuis que les commis voyageurs allemands se sont mis à aller parler à tous les indigènes du globe leur propre langue... et surtout depuis la guerre. J’en ai eu la plus vivante, la plus cordiale des démonstrations à la halle aux poissons de Londres où la moitié de ces porteurs, si curieux avec leur chapeau de bois à rigole, me criaient gentiment, ayant repéré je ne sais comment ma nationalité : « Bedjour, Massieu ! »

Ce qu’on m’a montré au bureau de la mobilisation, qui est aussi celui de la démobilisation, est fort curieux. J’y ai vu notamment dans une grande pièce dont l’accès est interdit au profane, — pas toujours comme on voit, — une série de petites tables dont chacune représentait,